Le calembour est un mal masculin, m'a dit récemment une amie. C'est aussi «la fiente de l'esprit qui vole», aurait dit Victor Hugo. Il en va des calembours comme des blagues: ce sont les plus faciles qui exaspèrent le plus. Merde! Mon titre...

Le sens de l'humour d'Émile Gaudreault prend l'affiche demain. Ce sera, on n'en doute pas un instant, la «comédie de l'été» (prière de ne pas reprendre cette phrase dans vos publicités). Le cinéaste de l'archipopulaire De père en flic y renoue avec son duo d'acteurs, Michel Côté et Louis-José Houde, auquel s'est greffé Benoît Brière. Bien du talent comique à l'écran, assez bien exploité d'ailleurs.

Houde et Brière incarnent deux humoristes de seconde zone, aux antipodes l'un de l'autre, contraints par leur imprésario commun de faire ensemble une tournée des petites salles de la province. Luc (Louis-José Houde) n'a guère de succès avec son humour cynique et méprisant. Marco (Benoît Brière), flagorneur à souhait, se complaît dans les stéréotypes d'une autre époque.

Un soir, pendant un spectacle dans un joli village en bordure du Saguenay, ils choisissent une tête de Turc de trop en la personne de Roger (Michel Côté), cuisinier du casse-croûte Le Béluga, souffre-douleur d'une timidité maladive qui dissimule un bien sombre caractère. Les deux humoristes se retrouvent prisonniers de cet être tourmenté et inquiétant, à qui ils proposent de confier tous leurs secrets comiques, en contrepartie de leur liberté.

Prémisse sympathique pour un film qui l'est tout autant, sans renouveler le genre, en exploitant tous les registres de l'humour, du burlesque au noir. Les personnages sont bien campés dans leurs clichés de circonstance (celui de Michel Côté fait inévitablement penser au Ver de Cruising Bar), les interprètes sont en forme. On sait d'emblée dans quel univers, fantaisiste et décalé, on baigne. Il y a plusieurs répliques savoureuses et, malgré une intrigue assez mince qui s'étire inutilement, le film atteint sa cible.

Le sens de l'humour réussit, entre autres, à démonter et démontrer d'habile façon les mécanismes de l'humour. Émile Gaudreault, qui s'y connaît en la matière - il a fait partie du Groupe sanguin -, pose un regard à la fois tendre et critique sur cette forme d'art populaire souvent contemplée de haut.

En filigrane d'un scénario somme toute conventionnel sur le thème de l'humiliation, on perçoit le point de vue aiguisé de l'ex-humoriste - ainsi que celui de son coscénariste Benoît Pelletier, scripteur pour bien des humoristes et enseignant à l'École nationale de l'humour - sur la profession. Le décalage entre les générations, les astuces et les trucs, les humoristes trop distants ou, au contraire, racoleurs.

Dans le personnage caustique de Luc, qui n'a ni le charisme ni la générosité de son interprète, Louis-José Houde, on trouve certains traits de l'humoriste qui méprise le métier de ses prédécesseurs et prétend réinventer la roue en repoussant les limites d'une forme artistique. Il a tout vu, tout entendu, livre les punchs avant qu'ils ne soient livrés. C'est l'humoriste exaspéré de faire partie d'une confrérie si prévisible. Il n'a pas toujours tort.

En revanche, le personnage de Marco (Benoît Brière, qui vole la vedette), Roger-Bontemps, insouciant optimiste, opportuniste obséquieux, rassemble les qualités et les défauts de l'humoriste qui recycle de vieux gags, abuse de tous les clichés et caresse invariablement le public dans le sens du poil, à l'exception bien sûr de son souffre-douleur d'un soir. Il a un réel amour du métier, de ses effets, et il sait faire rire. Il n'a pas toujours tort lui non plus.

À travers eux, le film d'Émile Gaudreault, qui distille un humour essentiellement rassembleur, mais réfléchi, dénonce une certaine facilité en humour. Les humoristes qui «réchauffent» les salles avec des formules creuses («Vous êtes en forme à soir?»), les thématiques redondantes, les gags éculés (sur les homosexuels, notamment), les formules et les recettes préparées, dont certaines pullulent et polluent en ce moment, en les uniformisant, les spectacles de stand-up au Québec.

Le sens de l'humour est aussi, bien sûr, un hommage à l'humour, à son pouvoir et à sa portée, voire à ses propriétés thérapeutiques. Un regard d'initié sur les mécanismes de l'art comique: le style, la musique, l'intonation, la livraison, le sens du punch.

L'humour est le meilleur remède que l'homme ait inventé pour oublier la douleur, dit le personnage de Benoît Brière. Et celui de Louis-José Houde d'ajouter, perplexe: «Il y a aussi la morphine.»