La mauvaise nouvelle est tombée il y a près de deux mois. Sans crier gare, de façon complètement arbitraire et inélégante, le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences du Canada a décidé de priver le Wapikoni mobile de sa subvention annuelle de 490 000$. Du coup, les communautés autochtones du Québec - ses jeunes en particulier - sont plongées dans le désarroi et l'incompréhension. Et Manon Barbeau, la fée fondatrice de ce programme de création audiovisuelle et musicale, est rongée par l'inquiétude.

Car au-delà de cet ambitieux projet donnant les moyens aux peuples des Premières Nations de s'exprimer à travers le cinéma et la musique, Wapikoni est d'abord et avant tout un projet d'intervention sociale. Qui vise à stimuler la créativité des individus au sein de communautés autochtones isolées, souvent minées de l'intérieur par le désoeuvrement. Voilà d'ailleurs bien le danger de cette coupure draconienne, probablement due à une ignorance crasse du dossier. La roulotte du Wapikoni mobile, coupée de ses vivres, ne pouvant plus honorer les 12 étapes prévues à l'itinéraire, des jeunes autochtones seront désormais laissés à eux-mêmes, l'âme en lambeaux, leur voix réduite au silence. Encore. Dans des communautés où le taux de suicide chez les jeunes est aussi vertigineux qu'affolant, que voilà une sombre perspective.

La semaine dernière, Réal Junior Leblanc, lauréat du prix Jeunesse Mainfilm au Festival Présence autochtone grâce à son film Nanameshkueu (Tremblement de terre), produit au sein de Wapikoni, évoquait auprès de ma collègue du Devoir Odile Tremblay l'importance de l'expression artistique. Il expliquait en outre comment Wapikoni avait certainement contribué à empêcher des suicides. Le chanteur Samian a aussi maintes fois témoigné en ce sens. Le travail admirable qu'accomplissent Manon Barbeau et son équipe depuis 2004 auprès des communautés autochtones est reconnu de tous, y compris même par les instances gouvernementales. La perspective d'une interruption abrupte, faute de ressources, suscite à juste titre colère et indignation.

«Grâce au soutien que nous obtenons, particulièrement celui des représentants des Premières Nations partout en Amérique, je suis moralement moins catastrophée qu'au moment de l'annonce, disait hier Manon Barbeau. Cela dit, je suis très préoccupée. C'est comme si on voulait censurer la parole des jeunes autochtones et qu'on les reléguait sur la voie de l'oubli en leur disant qu'ils ne nous intéressent pas. Comme un message d'indifférence. Continuez à vous suicider, mais ne venez surtout pas nous déranger avec ça! Je sais que des jeunes seront en danger.»

Ironiquement, le dossier de Wapikoni a toujours été exemplaire auprès des gouvernements. La pertinence du projet ne fut jamais remise en question en haut lieu, au contraire. D'où l'incompréhension générale. Et ce, au moment même où l'ONU lance un appel pour un plus grand respect des cultures autochtones. Bonjour la cohérence!

Pas assez d'emplois créés par ce projet, a pourtant décrété le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences en reléguant violemment au chômage 48 individus, parmi lesquels au moins un tiers sont autochtones. Kafka n'aurait pas fait mieux. Une décision comptable prise en regard de statistiques «normales», qui ne tiennent pas du tout compte de la réalité autochtone.

Silence radar

Manon Barbeau et son équipe se démènent depuis deux mois pour tenter d'obtenir une rencontre avec la ministre Diane Finley, mais cette dernière ne donne aucun signe de vie. On s'emmure dans un silence radar. La mobilisation et les cueillettes de fonds, pour stimulantes qu'elles soient, ne peuvent évidemment pas combler le manque à gagner. On parle quand même ici d'un montant de presque un demi-million de dollars.

«J'ose espérer que les pétitions qui circulent présentement, les lettres envoyées au Ministère, et le soutien des chefs innus et de députés autochtones vont faire bouger les choses, précise Manon Barbeau. Le dossier sera discuté en Chambre à la rentrée parlementaire. Mais il est clair que nous ne pourrons survivre très longtemps si cette décision n'est pas infirmée. Je refuse même de penser à cette éventualité!»

Même si ce dossier ne relève pas de celui du financement des arts, on ne peut s'empêcher de penser à la nature idéologique de cette bête décision. Une vision à courte vue à travers laquelle la «rentabilité» d'un programme doit impérativement être prouvée en chiffres. Or, Wapikoni travaille dans le domaine de l'indicible. On ne peut chiffrer l'estime de soi, la fierté, l'apprentissage d'un métier, la volonté de s'affranchir, l'appropriation d'une voix. On ne peut chiffrer non plus les économies en services sociaux qu'un tel programme génère. Si tel était le cas, parions que les bonzes du gouvernement fédéral, qui ne semblent désormais plus comprendre que ce seul langage, constateraient à quel point ils feraient probablement une bonne affaire en permettant au Wapikoni mobile de poursuivre son importante mission.

À combien se chiffre la détresse humaine au juste?