Elle m'a dit: «Je sais bien que les documentaristes crèvent de faim. Tout ce que j'espère, c'est d'avoir l'occasion d'avoir faim avec eux!» Elle l'a dit en boutade, mais elle n'en pensait pas moins.

Claudia Gama n'ose pas dire qu'elle est cinéaste. Pas encore. Elle est docteure en informatique de formation. Il y a cinq ans, après avoir terminé un doctorat en Angleterre, elle a quitté un prestigieux poste de professeur à l'Université de Salvador, dans son Brésil natal, pour s'installer à Montréal avec son chum français, son fils adolescent et sa petite fille de 1 an.

Parcours d'immigrants réussi, le couple ayant trouvé du travail dans le milieu universitaire québécois. Mais avec le désir, pas encore tout à fait assumé, de changer non seulement de pays, mais aussi de parcours professionnel.

Il y a deux ans, après des contrats à gauche et à droite, Claudia a enfin trouvé le job idéal comme chercheuse principale dans une ONG, sur un projet de démocratisation des technologies auprès de personnes handicapées. «C'est tout ce que j'avais espéré, dit-elle. Mais je me suis rendu compte que ce que j'aimais le plus, c'était la rencontre avec les gens. C'est ce qui m'a donné le goût de faire du documentaire.»

Elle en rêvait depuis des années, tâtant de la vidéo et de la photographie, et fignolant dans son coin des films sur des sujets écologiques. Alors elle est passée à l'acte: elle s'est inscrite en réalisation à l'Institut national de l'image et du son (INIS). Et elle a été refusée.

«Je n'avais pas de plan B, dit-elle dans un français mâtiné d'un léger accent portugais. Je me suis dit que j'avais été refusée parce que j'étais trop vieille. J'ai pris le premier vol pour le Brésil, en me demandant ce que j'allais devenir.»

Ce n'était que partie remise. En janvier dernier, elle a abandonné son travail «idéal», sous le regard perplexe de son entourage, et s'est lancée corps et âme dans une formation de documentariste à l'INIS. Hier soir, Je suis, point, son film de finissante chargé de poésie, était présenté avec cinq autres courts métrages documentaires dans le cadre du Festival des films du monde au Cinéma ONF. Il le sera de nouveau demain, à 21h10.

Pendant deux mois, Claudia a suivi pas à pas Christine, artiste atypique qu'elle a rencontrée en faisant du bénévolat. Un oiseau blessé par la vie, qui «tente de recoller les morceaux de son existence». Et qui le fait, entre autres, en confectionnant une robe fort originale, faite de gants de coton blancs souillés d'encre dont elle s'est servie pendant des années pour encarter des journaux, la nuit. Elle les a tous conservés minutieusement. «C'est l'histoire d'une ouvrière qui a travaillé toutes les nuits», dit dans le film Christine, qui a recréé la robe dans le hall du Cinéma ONF hier.

Claudia, elle, travaille déjà à son prochain projet, un documentaire qu'elle doit tourner en novembre à Munich, grâce à un concours qu'elle a remporté à l'INIS. Son film portera sur la rencontre entre des immigrants qui soignent des personnes âgées à domicile.

Avec son chum baba cool, qui s'investit dans des projets écologiques et qui a lui aussi laissé de côté sa carrière universitaire, Claudia a fait le choix de la simplicité volontaire. Le couple vient d'emménager dans une coop d'habitation avec sa fille, délaissant son appartement spacieux du Plateau Mont-Royal (deux fois plus cher) et s'éloignant de l'école du quartier.

«C'est un choix de vie, dit-elle, rayonnante et sereine. Je sais que je ne gagnerai pas d'argent. Mais en faisant ce film, j'ai réellement découvert le plaisir de travailler. C'est bon d'avoir du plaisir. J'ai 44 ans quand même!»

Elle a surtout le courage d'oser se lancer dans le vide, sans filet. En sacrifiant des années d'études et une carrière bien en selle. «Pas pour une passion, dit-elle. Je me méfie depuis longtemps de la passion. Pour un travail qui me permet de rencontrer des gens, de raconter leurs histoires, de parler de dignité. Et pour me plonger dans une situation de déséquilibre, où il y a beaucoup d'angoisse, mais où le seul chemin possible est devant.»

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