À notre arrivée hier après-midi, la Cité des doges suffoquait sous une chaleur tropicale. Il s'est d'ailleurs mis à pleuvoir des cordes. Au même moment, Madonna terminait tout juste sa conférence de presse. Dans les couloirs de la salle des médias, où il faut déployer des trésors d'imagination pour trouver le moyen de dénicher des outils nous permettant de travailler (une prise électrique, quelqu'un?), la rumeur n'était d'ailleurs pas très bonne à propos de W.E., la nouvelle réalisation de la Material Girl, présentée ici hors-concours.

En jetant un regard furtif par l'une des grandes fenêtres du Palazzo del Cinema, quartier général de la Mostra de Venise, on ne peut toutefois faire autrement que d'être happé, ou à tout le moins distrait, par la vision qui s'offre à nous. Un trou béant, immense, probablement assez grand pour accueillir les fondations du nouveau CHUM de l'endroit.

Des clôtures enrubannées aux couleurs du Festival tentent tant bien que mal de masquer la vue aux passants, mais un cratère de cette envergure ne peut évidemment passer inaperçu. D'autant que les Italiens, et surtout les Vénitiens, en connaissent très bien l'histoire.

Dans l'espoir de faire entrer le plus vieux festival de cinéma du monde dans la modernité, les autorités ont décidé de donner le feu vert à la construction d'un tout nouveau palais du cinéma. L'affaire semblait d'autant plus logique que la Mostra a vraiment repris du poil de la bête depuis quelques années, particulièrement du côté de la compétition officielle. Il n'y a qu'à consulter la liste des candidats pour s'en convaincre. Cronenberg, Polanski, Garrel, Solondz, Clooney, Andrea Arnold, et plusieurs cinéastes de renom concourent en outre cette année pour le 68e Lion d'or.

Les travaux d'excavation ont commencé il y a deux ans. On a creusé, creusé, et encore creusé. Avec le talent des ingénieurs italiens aux commandes, eux qui ont quand même quelques années d'expertise en la matière, le résultat ne pouvait être que spectaculaire. Or, Le Monde faisait écho plus tôt cette semaine aux multiples bogues survenus dans ce dossier depuis deux ans. D'abord, la vente des terrains n'aurait pas engendré les revenus escomptés. Comble de malchance, de l'amiante fut trouvé dans les sous-sols. Aujourd'hui, c'est l'impasse totale. Les travaux ont cessé. Une nouvelle vocation reste à trouver pour remplir le grand trou vide creusé à quelques pas de distance de la plage du Lido.

Concurrence de Toronto

Cette embûche n'a toutefois pas empêché la direction de la Mostra de tenter de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Aux infrastructures gigantesques, Venise oppose désormais son sens de l'histoire.

«En Italie, la restauration est un amusement! a déclaré la semaine dernière le président de la Biennale, Paolo Barrata, en inaugurant de nouvelles installations. Nous avons tellement d'artisans qui savent tout faire!»

En principe, le nouveau palais aurait dû être inauguré cette année, mais les festivaliers ont vu en lieu et place un vieux palais entièrement décoré comme à l'époque de la naissance du Festival. L'an prochain, la salle Darsena aura aussi droit à cette cure de «revieillissement», une façon pour Venise de se démarquer de ses concurrents européens, Cannes et Berlin.

Le Festival de Toronto, qui commence alors que la Mostra n'est pas encore terminée, n'est pas un rival à proprement parler. Même si les deux événements s'engagent souvent dans des guerres de primeurs, il reste qu'ils sont pratiquement complémentaires. Malgré eux. Le TIFF ne comportant pas de volet compétitif, plusieurs cinéastes choisissent de se lancer dans la mêlée à Venise afin de, peut-être, récolter un laurier, et se rendre ensuite dans la métropole canadienne pour rencontrer la presse nord-américaine.

Cette stratégie a notamment été payante pour Ang Lee (Brokeback Mountain), de même que Darren Aronofsky (The Wrestler). Leurs films étaient instantanément devenus des incontournables à voir à Toronto après leur passage au Lido. Ils furent aussi gratifiés d'un Lion d'or.

En passant, Aronofsky, qui avait ouvert la Mostra l'an dernier avec Black Swan, préside le jury cette année.

Quoi qu'il en soit, Venise a raison de consolider ses formidables atouts. Seul regret: les festivaliers devront encore, au péril de leur vie, affronter ces innombrables paliers de marbre hauts de trois pouces qui ne semblent avoir été mis là que pour les vils plaisirs d'une caméra cachée. Au nombre de gens qui s'enfargent avec grâce dans ces trucs au cours d'une journée, ça ne peut être autre chose...