Cette fois, j'étais bien décidé à ne pas arriver seul à la soirée. J'avais obtenu, grâce à une «relation», deux invitations au très sélect party d'ouverture du Festival international du film de Toronto (TIFF), jeudi. On y annonçait la présence de Bono, The Edge et d'autres stars sans patronyme.

Je me sentais big. Gros comme Toronto. J'ai ressorti mon seul complet digne de ce nom, que je n'avais pas porté depuis le Festival de Cannes. Le Liberty Grand, immense salle de banquet, m'a semblé si éloigné du centre-ville que j'ai cru apercevoir au loin la frontière du Manitoba. Dehors, il y avait des dizaines de badauds fixant un tapis rouge sans vedettes. Il est trop tôt pour Bono, que je me suis dit.

J'étais accompagné d'une amie, jolie blonde entraînée à ce genre d'événement. Accepté dans le cénacle des jet-setters, au party «exclusif» du lancement du deuxième festival de cinéma en importance au monde. Une fête où, selon un obscur blogue, il fallait «être et être vu». (J'y étais, mais je ne suis pas convaincu que l'on m'ait vu.)

En balayant la salle du regard, j'ai estimé que nous étions là, quoi, à peine quatre ou cinq mille personnes, évidemment «triées sur le volet». Ce qui a fait dire à mon amie: «Il y a tellement de monde ici que j'aurais été insultée de ne pas me trouver une invitation.»

La fête était commanditée par un fabricant de vodka. Comme je ne connais aucun nom de cocktail, j'ai commandé une bière. Est-ce moi qui, par inadvertance, ai pratiquement mis le feu au bar, en échappant une serviette en papier sur une chandelle? Une jeune dame paniquée a eu le réflexe de souffler les flammes sur la serveuse. Mon amie l'a secourue en éteignant ce début d'incendie avec son verre. J'ai détourné le regard en faisant semblant que je n'avais rien remarqué. Pierre Richard, sors de ce corps.

Il y avait beaucoup de beautiful people, comme on les décrit dans les blogues obscurs. Grands en général. Aussi beaucoup de jeunes femmes aux jupes trop courtes pour être élégantes, et de jeunes hommes aux lunettes surdimensionnées, coiffés de chapeaux de gangster. Non, j'ai pas envie de le lire, ton scénario.

Mon amie, qui connaît tout le monde, ne reconnaissait personne. Pas le moindre ex-acteur de soutien de Degrassi Junior High à se mettre sous la dent, question de meubler une chronique mondaine. Tiens, là, c'est pas Johnny Depp? Non, seulement un croisement entre Frédéric Beigbeder et Sol. J'ai fini par rencontrer l'ancien chanteur, fort sympathique, de Moxy Früvous, groupe de folk rock populaire dans certains cercles du sud-ouest de l'Ontario à l'automne 1992. Au rayon des stars, c'était pas mal ça qui était ça.

L'espoir a enfin surgi sous la forme d'un texto envoyé par une attachée de presse de Montréal. «Venez nous rejoindre près du salon VIP. Je suis avec Jean Dujardin.» «Ze» Jean Dujardin, star muette de l'excellent The Artist de Michel Hazanavicius, présenté au TIFF. Mon honneur de chroniqueur était sauf.

Restait à trouver le salon VIP, dans ce dédale de salles et de jardins. Pas à gauche ni à droite. Pas devant ni derrière. Une heure et 12 textos plus tard, toujours aucune trace de Brice de Nice. Pour ne rien arranger, on nous apprenait que Bono avait «quitté le building», sans qu'on ait pu apercevoir la moindre mèche de ses cheveux teints auburn brûlé.

J'étais trop occupé sans doute, pendant sa brève apparition, à tenter de distinguer la lasagne végétarienne du boeuf Stroganoff dans ce buffet chaud que l'on fait passer à Toronto pour du finger food. À chacun sa définition de la gastronomie. J'avais faim. C'était d'ailleurs la faute à Bono. Le documentaire sur son groupe, film d'ouverture du festival, qui m'avait fait rater le souper. Mon estomac criait Sunday Bloody Sunday. Sans le savoir, un serveur, en me proposant un mini-burger, m'a convaincu que Dieu existe, même pour les pique-assiettes.

J'ai fini par trouver le salon VIP. Une fille en tenue légère, embauchée par les organisateurs, avait l'air de s'ennuyer ferme en «dansant lascivement» sur un cube surélevé. On n'arrête pas le progrès. Geoffrey Rush ne bégayait pas en compagnie d'une femme dans la jeune vingtaine. Sa fille je suppose.

J'ai ressenti ce que j'ai déjà ressenti dans d'autres soirées du genre. Le regard des uns qui se pose, une fraction de seconde, sur le visage des autres, avec cette question en suspens au fond de l'oeil: «Ce gars-là avec la chemise blanche fripée, c'est-tu quelqu'un?»

Nouveau texto. Jean Dujardin avait quitté le salon VIP pour la terrasse. Je me suis dit: allez, une dernière tentative avant de confirmer ta déconfiture. Puis soudain comme dans un songe, je l'ai aperçu près d'une colonne corinthienne, la silhouette d'athlète, les cheveux gominés, le flegme élégant des stars d'une autre époque. Personne autour pour soupçonner son identité.

On a jasé. De la réception enthousiaste de The Artist à Telluride la semaine dernière, du soutien des frères Weinstein au film en Amérique du Nord, de son plaisir de ne pas être reconnu dans les rues de Toronto. En rentrant à l'hôtel, je me suis aperçu que j'avais des miettes de sandwich à la banane et au beurre d'arachide à la commissure des lèvres. Il y a des choses qui ne changent jamais.