Il y avait une actrice hollywoodienne sur le trottoir de la rue King qui se faisait photographier par les badauds. Seule. Elle portait une robe blanche pour qu'on la remarque. Elle est sortie d'une limousine. En talons hauts. Il n'était pas midi.

On ne pouvait plus circuler devant le Lightbox, le fastueux quartier général du Festival international du film de Toronto. Périmètre de sécurité. Entourage. Oreillettes. Lunettes fumées. Je suis resté coincé là. À cause de cette actrice, qui marchait à cinq centimètres à l'heure, en offrant son meilleur profil à qui le voulait bien.

J'ai voulu me rendre à la salle de presse. On avait réservé les ascenseurs et les escaliers. Plan de contingence. Quand il y a une vedette dans la place (même de «liste B», en l'occurrence), on interdit les ascenseurs aux quidams. D'un coup que quelqu'un voudrait monter ou descendre. D'un coup qu'on lui parlerait, à la vedette. D'un coup qu'on respirerait son air.

La salle de presse du TIFF était pratiquement vide. Trois jeunes relationnistes discutaient gestion d'horaires d'invités de marque, logistique de séances de photo pour la presse, réaménagement de tapis rouge ou je ne sais trop quoi.

On leur a demandé s'il y avait moyen de voir le court métrage de quatre minutes commémorant les 10 ans de la tragédie du 11 septembre 2001, présenté avant chacune des projections publiques hier (mais étrangement aucune des projections de presse).

Il y a 10 ans, il avait été question d'interrompre le Festival international du film de Toronto, alors à mi-parcours, en raison de la tragédie. On avait annulé les soirées et les galas, mais pas les projections. Le cinéma comme un baume. La direction du TIFF a demandé au cinéaste canadien Lucius Dechausay de souligner ce triste anniversaire en rassemblant différents témoignages de gens qui étaient au Festival il y a 10 ans.

J'aurais aimé voir son film. Il n'y avait pas moyen, faut croire. Cela n'avait pas l'air d'intéresser les jeunes relationnistes outre mesure. «Il sera sur notre site internet à la fin de la journée», qu'elles ont dit. Puis elles ont repris leur discussion comme si elle n'avait jamais été interrompue.

À l'angle des rues King et Peter, sur un écran géant, entre un but d'Alessandro Del Piero et un as de Rafael Nadal, on diffusait des images de la cérémonie de commémoration d'hier, à New York.

Sur le trottoir, à 100 mètres, il n'y avait plus de trace de l'actrice à la robe blanche. La foule, en revanche, ne s'était pas dispersée. On annonçait pour bientôt l'arrivée possible de James Franco. Chacun avait sorti son appareil ou son téléphone «intelligent», pour n'en rien rater. Imaginez: une photo de James Franco.

La vie continue, qu'on dit. Soit. Mais qu'on ne me dise pas que le monde a changé.

Le buzz d'Oscar

On le sait, c'est au Festival de Toronto que le «buzz» des Oscars commence habituellement à bourdonner. Même pour les films déjà présentés à Cannes (The Artist, notamment, que bien des gens à Hollywood voient dans leur soupe), à Venise ou à Telluride. C'est le cas de The Descendants d'Alexander Payne (Citizen Ruth, Election, About Schmidt), présenté à Telluride la semaine dernière.

Le cinéaste de Sideways s'y intéresse à la vie pas du tout paradisiaque d'une famille hawaïenne. Matt King (George Clooney), avocat spécialisé dans l'immobilier dont la famille détient des terres vierges dans l'archipel, tente péniblement de maintenir l'équilibre avec ses filles adolescentes après un accident de bateau qui a laissé sa femme dans le coma.

Entre le drame et la comédie noire, éclairant de subtiles touches d'absurdité la tragédie, Alexander Payne creuse davantage le sillon d'une filmographie fort intéressante, avec l'esprit, la finesse et l'audace qu'on lui connaît.

On m'excusera ce degré ultime du cliché, mais on rit (notamment des plis de pantalon trop larges et des chemises fleuries de George Clooney) et on est ému en regardant ce film. Et on rit même parfois quand on devrait être ému.

George Clooney est formidablement juste dans ce contre-emploi de père de famille dépassé par les événements. Shailene Woodley, qui interprète sa fille aînée, sera l'une des révélations de la saison cinématographique aux États-Unis. D'une manière ou d'une autre, je parie que The Descendants sera finaliste aux Oscars.

Au même rayon de l'humour décalé, Todd Solondz (Storytelling, Happiness) rate malheureusement le coche avec Dark Horse. Malgré quelques répliques sardoniques et un personnage central savoureux, son film manque cruellement de cohésion, de mordant et de direction. En nous laissant imaginer ce qu'il aurait pu faire, s'il avait été plus inspiré, de cet adolescent attardé de 35 ans (Jordan Gelber), qui collectionne les figurines et les phrases déplacées, qui habite chez ses parents (Mia Farrow et Christophe Walken), conduit un immense Hummer jaune et s'amourache d'une suicidaire (Selma Blair) avec qui il n'a rien en commun. Déception.