C’est un ovni. Une bizarrerie. Une quasi-comédie sur l’un des pires drames: la maladie d’un enfant.

La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli, film d’ouverture du Festival du nouveau cinéma, à l’affiche depuis vendredi, s’intéresse à un jeune couple français dont le fils de 18 mois est atteint d’un cancer du cerveau. Les pronostics ne sont pas optimistes. La vie des parents est bouleversée du jour au lendemain. Ne sera plus jamais la même.

On s’attend comme spectateur, parce que l’on y a été conditionné sans doute, entre autres par le cinéma américain, à être ému, touché, bousculé par le récit de cette tragédie. On l’est, en définitive, mais d’une manière inhabituelle et déconcertante.

La guerre est déclarée se démarque par son refus obstiné de verser dans le pathos, et aussi, d’inviter le spectateur à partager les émotions de ses protagonistes. Valérie Donzelli, dont il s’agit du deuxième long métrage, n’a fait aucune concession en ce sens. Et l’on peut, en découvrant son film au ton décalé, aux ruptures de ton constantes, à l’humour absurde et aux maniérismes hérités de la Nouvelle Vague, être parfaitement décontenancé.

Il n’est pas nécessaire d’être parent de jeunes enfants pour être empathique devant le sort de ce jeune couple insouciant dont le destin chavire. On aurait envie de pleurer leur drame. Tous les mécanismes du cinéma mis en place par la cinéaste tentent pourtant de nous en dissuader. En dédramatisant l’épreuve. En exagérant certaines réactions. En caricaturant les situations. En intégrant au beau milieu du récit une chanson, à la manière de Jacques Demy, interprétée par les parents, Roméo et Juliette...

La guerre est déclarée se présente à la fois comme une métaphore et une déconstruction de la réalité. Une fantaisie pop, esthétisante, nourrie par le drame, qui sacrifie à dessein l’émotion au profit du style. De manière absolument originale, étonnante et déroutante.

Car cette fiction, dont tous les artifices veulent rappeler la nature, demeure cruellement autobiographique. La cinéaste et son coscénariste, Jérémie Elkaïm, sont à la fois les interprètes principaux du film; cette histoire, c’est leur histoire. On leur a annoncé que leur fils souffrait d’une tumeur au cerveau. On a évalué ses chances de survie à environ 10%. En apparence, il n’y a pas de quoi rire.

Valérie Donzelli, comme elle l’a déclaré à mon collègue Marc-André Lussier, n’a pas voulu réaliser une oeuvre thérapeutique. Pari tenu. Même s’il a été tourné dans de véritables hôpitaux, avec du personnel médical, son film propose un regard à ce point distancié du drame qu’on en vient à se demander s’il ne tente pas de le banaliser. Aussi, j’oserais prédire, pour des raisons de fossé culturel et de culture cinématographique aux antipodes l’une de l’autre, qu’il y a peu de chances que le candidat français à l’Oscar du meilleur film étranger soit plébiscité par un jury hollywoodien.

Le rapport à l’oeuvre est un sujet qui m’intéresse particulièrement. La guerre est déclarée me semble être un exemple éloquent de l’influence du contexte de la création d’une oeuvre sur notre appréciation de celle-ci.

Si l’on ne sait pas que Valérie Donzelli a elle-même vécu les événements qu’elle semble décrire de manière si détachée, on peut croire qu’elle évite de s’y mesurer de front pour mieux servir ses effets de mise en scène. Si l’on connaît son histoire, et les circonstances entourant son oeuvre, il y a plus de probabilité, il me semble, que l’on puisse en apprécier toutes les nuances.

Est-il si important de départager le vrai du faux, le réaliste de l’invraisemblable, dans une oeuvre de fiction, qu’elle soit ou non autobiographique? J’y ai aussi pensé en voyant Marécages, du Québécois Guy Édoin, qui a pris l’affiche vendredi.

Je ne partage pas l’enthousiasme de plusieurs de mes collègues pour ce premier film prometteur qui, à mon sens, s’essouffle trop vite. Marécages a été tourné dans la ferme des parents du cinéaste, dans les Cantons-de-l’Est. Et propose une vision plutôt réaliste de la vie sur une terre agricole. Les difficultés de joindre les deux bouts, la routine quotidienne, les joies et le reste.

J’ai un ami qui a déjà travaillé dans une ferme. Et qui n’a pas aimé Marécages pour toutes sortes de raisons, notamment une scène, spectaculaire, qui laisse entendre que la perte d’un veau est un drame pour une famille d’agriculteurs (alors qu’il s’agirait plutôt, dans les faits, d’un irritant).

Guy Édoin a fait de cette scène, pour les besoins de son récit, un pivot dramatique illustrant la relation tendue entre un père et son fils. Une défaite de plus -de trop?- pour une famille menacée de faillite. En exagérant peut-être sa portée. Un détail qui, parce qu’il trafique d’une certaine manière la réalité, a dérangé mon ami. Et auquel je n’ai accordé aucune importance. Question, encore une fois, de bagage et de contexte.