La semaine dernière, la justice iranienne a confirmé la condamnation du cinéaste Jafar Panahi à six ans d'emprisonnement et 20 ans d'interdiction de voyager, de tourner et de donner des entrevues. Son crime? Avoir voulu filmer la répression qui a suivi la réélection controversée du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, en juin 2009.

En septembre, cinq cinéastes iraniens ont été arrêtés par les autorités iraniennes pour «trahison» et «espionnage», parmi lesquels Mojtaba Mirtahmasb, coréalisateur avec Jafar Panahi de Ceci n'est pas un film, sur l'assignation à résidence de ce dernier. Un autre cinéaste, Mohammad Rasoulof, réalisateur du courageux Au revoir, prix Un certain regard au dernier Festival de Cannes, devra purger une peine d'un an d'emprisonnement.

Au début du mois, l'actrice Marzieh Vafamehr a également été condamnée à un an de prison et 90 coups de fouet pour avoir joué dans un film qui évoque les difficultés faites aux artistes dans la République islamique.

Cette semaine, plusieurs organisations, notamment à Hollywood, ont condamné les plus récentes exactions du régime d'Ahmadinejad. Des cinéastes iraniens, dont Mohsen Makhmalbaf et sa famille, ont exigé la libération des détenus et appelé au boycott des organes officiels de leur cinéma national.

C'est dans ce contexte sombre que le Festival du nouveau cinéma présente, aujourd'hui et demain, Une séparation, film remarquable sur la vie quotidienne d'une famille à Téhéran. Ours d'or du dernier Festival de Berlin, ce troisième long métrage d'Asghar Farhadi, poignant, percutant et superbement interprété, est devenu un véritable phénomène en France, où il a pris l'affiche l'été dernier et a été vu par plus d'un million de spectateurs.

Une séparation est-elle une oeuvre dissidente? La question intéresse ces jours-ci les cercles cinéphiles, notamment français. Ce drame fin et prégnant a été financé en partie, comme bien d'autres, par les institutions publiques iraniennes et concourra aux Oscars sous bannière officielle de son pays. Il reste néanmoins, à mon sens, un film phare, discrètement subversif, sur la moralité, la justice, le fanatisme religieux, la situation de la femme et celle du couple dans l'Iran moderne (oxymore s'il en est).

J'ai eu l'occasion de rencontrer Asghar Farhadi, le mois dernier, dans le cadre du Festival international du film de Toronto. Nous avons discuté de la très difficile situation des cinéastes iraniens. Je lui ai demandé comment il expliquait que son film, qui aborde des questions délicates, soit soutenu par les institutions iraniennes, alors que d'autres, ceux de Panahi et Rasoulof notamment, sont interdits de diffusion.

«Cela dépend du sujet du film, m'a-t-il répondu. Et de la façon dont on fait ou pas la promotion du message dans son film. C'est-à-dire de manière ouverte ou subliminale. Veut-on poser des questions ou faire un coup d'éclat? Dans mes films, j'évite de défendre une thèse. Je pose des questions. Cela m'aide à pouvoir diffuser mes films en Iran, ce qui est important pour moi.

«Il faut dire que j'ai eu de la chance. La censure, c'est comme la météo en automne. Il peut pleuvoir le matin et faire beau l'après-midi. Tout dépend de l'heure. J'ai eu la chance de faire des films alors qu'il faisait soleil... Mais il n'y a pas de garantie. Dans un mois, ça pourrait être très différent.»

Le cinéaste d'À propos d'Elly, Ours d'argent de la meilleure réalisation à la Berlinale de 2009, croit-il qu'il lui sera plus difficile d'éviter d'éveiller les soupçons des censeurs, avec les prix prestigieux qu'il a remportés dans des festivals internationaux? «Certainement, dit-il. C'est pour ça que je dis que ma situation pourrait facilement changer. L'attention médiatique crée des tensions. Et ce n'est pas une bonne chose.»

Asghar Farhadi s'exprime, prudemment, en métaphores. À la lumière des événements des derniers mois, on le comprend très bien. Chacune de ses paroles, surtout dans les médias étrangers, risque d'être mal interprétée. Craint-il des pressions politiques internes, comme certains de ses confrères, maintenant qu'il a eu du succès à l'étranger? Un film iranien qui rallie exceptionnellement un public occidental éveille forcément les soupçons du régime.

«Chaque fois que l'on prend le volant, n'importe quoi peut arriver, dit-il. Le mieux que l'on puisse faire, c'est de boucler sa ceinture. On sait qu'il y a un danger, mais on prend quand même la route. Je dois conduire. C'est ce que je dois faire. Personne ne m'a obligé à être cinéaste. La situation, les difficultés actuelles me poussent encore davantage à être cinéaste.»

Farhadi dit ne pas vouloir pour autant que ses films deviennent des pamphlets politiques. «Jusqu'à présent, personne ne m'a dit quoi mettre dans mes films. Certains cinéastes se mettent une pression sur les épaules en clamant leur message politique. Je préfère être plus discret, afin de m'assurer que les Iraniens voient mes films.»

Asghar Farhadi fait partie d'une deuxième grande vague de cinéastes iraniens, très présents sur les circuits internationaux, comme ceux qui ont marqué la Nouvelle vague iranienne du début des années 90 (Abbas Kiarostami, Mohsen Makhmalbaf, Jafar Panahi, etc.).

Comment explique-t-il le paradoxe de la grande vitalité actuelle du cinéma iranien dans le contexte de la répression politique? «C'est comme demander à un cinéaste du pôle Nord comment il vit avec le froid. Cela fait partie de notre vie, depuis toujours. Mais il faut être prudent. On peut vivre dans un cadre strict pendant un moment. Mais à terme, le manque de liberté peut détruire le cinéma.»

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