Si vous avez un cinéphile dans votre entourage, ne lui tenez pas trop rigueur de ses errances. C’est que, voyez-vous, votre fou de cinoche favori est présentement plongé dans la période la plus effervescente de l’année. Ne sachant plus trop où donner de l’œil, il « capote ».

Non seulement les festivals de cinéma « de niche » se succèdent à un rythme effarant, parfois même en se chevauchant, mais la programmation en salle se révèle d’une incroyable richesse ces temps-ci. La semaine prochaine, trois pointures déjà : Von Trier (Melancholia), Eastwood (J. Edgar), Klaspisch (Ma part du gâteau). Puis suivront : Almodóvar (La peau que j’habite), Scorsese (Hugo), Kaurismaki (Le Havre), Hazavanicius (The Artist, qui sort maintenant le 9 décembre au Québec), Spielberg en doublé (Les Aventures de Tintin et War Horse), Wenders (Pina), Jason Reitman (Young Adult), David Fincher (The Girl with the Dragon Tattoo). Sans oublier Polanski (Carnage). Ouf.


Tous ces films, réalisés par des cinéastes phares, ont bien entendu pour mission d’obtenir les faveurs du public. Quelques-uns d’entre eux, aux allures de superproductions, subissent même la pression d’une industrie ayant de très grandes attentes. La productrice Kathleen Kennedy, fidèle complice professionnelle de Steven Spielberg depuis trois décennies, racontait récemment, au cours d’une rencontre de presse tenue à Paris, à quel point cette pression se faisait désormais lourdement sentir.


« Il y a 30 ans, nous avons produit E.T. pour environ 10 millions de dollars, a-t-elle souligné. À cette époque, un film avait du temps pour se faire valoir auprès du public et pouvait rester à l’affiche pendant plusieurs mois. Jamais nous n’aurions pu alors envisager de produire un film avec un budget de 100 millions de dollars. Or, ce qui était impensable il n’y a pas si longtemps est aujourd’hui devenu la norme à Hollywood. Avec une obligation de performance dès le premier jour où un film prend l’affiche ! »


Toute l’industrie du cinéma est désormais soumise à cette logique marchande. Certaines œuvres viennent toutefois nous rappeler – Dieu merci ! – que le cinéma n’est pas qu’affaire de gros sous. La machine aura beau faire rouler ses turbines à la plus haute vitesse pour rentabiliser son compost au maximum, l’impact réel d’un film ne se réduira jamais qu’au seul son des tiroirs-caisses.

Certains longs métrages font œuvre utile sans nécessairement générer des centaines de millions de dollars au box-office. Aujourd’hui, deux documentaires québécois, dans lesquels les auteurs prennent parti, investissent le grand écran. Personne n’attend de Trou Story (Richard Desjardins et Robert Monderie) et de Survivre au progrès (Mathieu Roy et Harold Crooks) de nouveaux records. Pourtant, ces longs métrages parviennent, du simple fait de leur existence, à susciter des débats d’idées. Dans un paysage médiatique de plus en plus marqué par l’uniformisation, si ce n’est par une polarisation systématique, l’apport de tels cinéastes pour nous révéler le monde sous un autre angle devient rien de moins qu’essentiel.

Le cinéma de fiction n’est d’évidence pas en reste. S’il est notoire que le cinéma « d’évasion » trouve toujours ses marques en temps de crise, les visions artistiques pouvant nous aider à mieux comprendre le monde se révèlent d’autant plus précieuses. À cet égard, le succès phénoménal qu’obtient présentement en France Polisse, le remarquable film de Maïwenn (aujourd’hui à Cinémania), découle de cette envie de savoir, de réfléchir, de souscrire à la solidarité humaine. Dans une entrevue que nous publierons demain, Cédric Klapisch, auteur réalisateur de la comédie sociale Ma part du gâteau, explique que son film est né d’une nécessité de dire, de questionner. C’est aussi grâce à ceux qui prennent une caméra pour révéler quelque chose de notre société – et celle des autres – que le cinéma reste bien en vie.


De bonnes et de moins bonnes nouvelles
Le cinéma est un art, certes. Le septième, à vrai dire. Sauf que cet art s’exerce quand même dans un contexte de diffusion où les distributeurs doivent obligatoirement rentabiliser un film parfois acheté à gros prix. Si je me fie à vos lettres et commentaires, vous êtes plusieurs à vous inquiéter du sort de deux titres en particulier : Habemus Papam (Nanni Moretti) et Les bien-aimés (Christophe Honoré). Dans le cas du Moretti, soyez sans crainte. Films Séville en détient les droits. Le distributeur québécois compte toutefois mettre ce film à l’affiche seulement le 1er juin 2012, soit plus d’un an après sa présentation en compétition officielle au Festival de Cannes. Le sort des Bien-aimés, film de clôture à Cannes, est en revanche plus préoccupant. Christophe Honoré ne l’a vraiment pas facile au Québec depuis quelques années. Mis à part Homme au bain, film expérimental sorti dans les circuits parallèles, c’est silence radio total depuis Les chansons d’amour. Non ma fille, tu n’iras pas danser n’a jamais été distribué au Québec. Les bien-aimés, dont la première nord-américaine a eu lieu au Festival de Toronto il y a deux mois, n’a pas été repêché non plus par les festivals québécois. Aux dernières nouvelles, le film n’a toujours pas trouvé preneur auprès d’un distributeur local, pas plus qu’auprès d’un distributeur nord-américain. Il est vrai que le drame « en chanté » d’Honoré, dont les têtes d’affiche sont Ludivine Sagnier, Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni, n’a pas été si « bien-aimé » dans l’Hexagone. N’empêche que pour certains admirateurs, dont je fais partie, ce film fut quand même une fête. Dommage.