Quelques courriels venus de «professionnels de la profession» sont tombés dans la boîte de réception cette semaine. Cinéastes et gens du milieu ont fait parvenir leur missive à deux destinataires. Vous savez; ceux qu'on surnomme «les deux Marc». La raison? La publication, samedi dernier, de la chronique de l'ami Cassivi intitulée «Défier les pronostics». Il y était question de ces films que la critique encense sans que le public en fasse toujours autant. Et d'une conversation tenue à la sortie de la projection du très beau film de Sébastien Pilote, Le vendeur. «Vous ne devriez pas présumer des goûts du grand public», a-t-on semoncé. «Laissez aux spectateurs le soin de faire le bouche-à-oreille, car vos présomptions ne peuvent que tuer leur désir dans l'oeuf!»

Ces gens ont raison. On ne peut présumer de rien. Ni d'un succès phénoménal comme celui qu'a connu Incendies, pas plus que des revers injustes - sur le plan des entrées en salle on s'entend - qu'ont dû essuyer des films comme Curling ou En terrains connus. Le vendeur est d'ailleurs en voie de connaître une carrière des plus honorables au Québec. On ne peut que s'en réjouir.

On a aussi relevé - avec une pointe de reproche au bout de la plume - cette tendance qu'aurait désormais la critique de toujours mettre en garde le lecteur (ou l'auditeur) face à une oeuvre plus pointue. Ou moins formatée.

Il est vrai qu'avec la multiplication des plateformes, la façon de «consommer» les films, tout autant que de les commenter, a radicalement changé depuis quelques années. Les «consommateurs» désirant s'informer à propos des productions cinématographiques qui les intéressent disposent maintenant de moyens plus nombreux, et parfois très sophistiqués.

Aux préceptes fondamentaux d'analyse et de valeur artistique s'ajoute aujourd'hui, à tout le moins pour tout critique au service d'un média généraliste, la question suivante: «À qui s'adresse ce film?» Cette question est d'autant plus importante pour le cinéma que le «produit offert, contrairement à une certaine époque, peut désormais être apprécié convenablement dans le confort de son foyer, peu de temps après avoir été exploité en salle. Parfois même simultanément. Si un déplacement est toujours requis pour aller au théâtre, au spectacle ou au musée, il n'en est plus du tout ainsi pour le septième art. D'où cette formule maintenant très répandue dans les médias: «attendez le DVD!»

Les professionnels savent aussi très bien - d'où leur inquiétude, j'imagine - que pour savoir où dépenser leur «dollar cinéma», bon nombre de spectateurs consulteront les journaux ou les sites web spécialisés. Autrement dit, ils utilisent les médias comme un «guide d'achat». Quand la satisfaction n'est pas au rendez-vous, le «client» exprimera rarement sa frustration directement auprès des artisans de l'oeuvre ou de ceux qui la diffusent. Mais il ne se gênera pas pour dire le fond de sa pensée à celui ou celle qui aura écrit une critique positive à propos d'un film qu'il déteste. Nos boîtes vocales résonnent régulièrement de messages enflammés, habituellement assortis d'une demande de remboursement, livrés par des spectateurs mécontents. Qui ne décolèrent toujours pas à l'idée que nous ayons pu trouver des qualités à des films «poches» comme Caché, La graine et le mulet, Continental, un film sans fusil ou Antichrist. Haneke, Kechiche, Lafleur et Von Trier ont-ils eu vent de ces doléances? Il est permis d'en douter.

La notion de «performance», si chère aux institutions, pompe sans doute tout l'oxygène. Et à une époque où tout ce qui déborde un peu de la culture de masse est souvent relégué à la marge, la question «À qui s'adresse ce film?» demeurera pertinente. Au grand dam de ceux qui le déplorent. La beauté de l'affaire, c'est qu'on se trompe parfois.

La grande indignation

Certains se sont indignés du fait que Michael Moore, célèbre documentariste qui, il est vrai, n'en est pas à un paradoxe près, mène apparemment une vie de pacha. Ils trouvent même «hypocrite» la propension de ce méchant «socialiste» à défendre la veuve, l'orphelin et les indignés de Wall Street, tout en garnissant généreusement son compte en banque. Le réalisateur de Capitalism: A Love Story peut bien disposer de son argent comme il veut, ça le regarde. Mais qui a dit que seuls les pauvres avaient le droit d'exprimer leur indignation?