La Berlinale sera celle des bouleversements politiques et sociaux. C'est la promesse de Dieter Kosslick, le directeur d'une Berlinale qui entre aujourd'hui dans sa 62e année. Mais ce soir, sur le tapis rouge des Adieux à la reine, film d'ouverture portant sur les trois derniers jours de la monarchie française avant que n'éclate la révolution, le plus grand bouleversement ne risque pas d'être politique, mais climatique.

L'Europe est en effet la proie d'une vague de froid et Berlin n'y échappe pas. Depuis plus d'une semaine, des froids quasi sibériens plombent la ville et font claquer des dents ses habitants. Ce soir ne fera pas exception, obligeant sans doute les vedettes du film, Diane Kruger et Virginie Ledoyen ou encore Charlotte Gainsbourg, membre du jury présidé par le Britannique Mike Leigh, à troquer leurs décolletés plongeants et leurs bretelles spaghetti pour des combines de ski et des habits de motoneige.

Qu'à cela ne tienne, la première grande fête du cinéma de 2012 commence aujourd'hui et ce qui y fera effet y fera peut-être époque, comme ce fut le cas pour Une séparation, le film iranien gagnant de l'Ours d'or l'an passé et qui, un an plus tard, se retrouve dans la course aux Oscars.

Déjà les spéculations vont bon train au sujet des 18 films d'une compétition qui, jusqu'au 19 février, réunit les oeuvres de vieux routiers comme les frères Taviani (César doit mourir) ou le chinois Wang Quan'an (White Deer Plain), gagnant de l'Ours d'or de 2007, et des nouveaux venus au cinéma comme Billy Bob Thornton, l'ex d'Angelina Jolie, qui présente Jane Mansfield's Car, ou encore le Québécois Kim Nguyen et son film Rebelle.

Quatrième long métrage de ce jeune doué, Rebelle est le premier film québécois à être sélectionné pour la compétition depuis Emporte-moi de Léa Pool, en 1999. Son camarade québécois Denis Côté a, pour sa part, été invité dans la section Forum pour y présenter à cinq reprises Bestiaire, un documentaire mettant en vedette des animaux du Zoo de Granby et leurs gardiens. Même si la section Forum n'a pas une visibilité médiatique aussi grande que celle de la compétition, elle fait courir les Berlinois, toujours nombreux aux séances.

La Berlinale, on le sait, est un festival qui privilégie les films sérieux, graves et politiques. Mais pour appâter les médias et séduire le grand public, le festival sait aussi faire une belle part aux vedettes américaines. Cette année, c'est Angelina Jolie qui lancera le bal en venant présenter In the Land of Blood and Honey, qu'elle a scénarisé et réalisé. Le film fera l'objet d'une présentation spéciale et d'un débat devant public, samedi soir à la Maison des festivals, édifice dans l'ouest de la ville qui vient d'être rénové à grands frais. Ce sera la première fois depuis longtemps que la Berlinale, basée à l'Est depuis la chute du mur, passe à l'Ouest, pour ainsi dire. «Enfin il se passe quelque chose à l'Ouest!», a d'ailleurs déclaré Dieter Kosslick, en écho au sentiment généralement partagé par les Berlinois qu'il est grand temps que les autorités s'occupent de l'Ouest décrépit.

Autre grande vedette américaine, Merly Streep sera de passage à Berlin mardi pour une soirée hommage pour l'ensemble de son oeuvre et tout particulièrement son travail exceptionnel dans La dame de fer. D'autres vedettes comme Javier Bardem, Keanu Reeves, Christian Bale, Max Von Sydow, Uma Thurman, Kristin Scott Thomas et Robert Pattinson viendront aussi faire leur tour de piste.

Des documentaires

Le documentaire a toujours occupé une place de choix à la Berlinale. Ce sera encore le cas cette année avec une programmation où se mêleront luttes privées et collectives. Reporting... a Revolution de Bassam Mortada, sur le soulèvement qui a mené à la chute du régime égyptien, y est attendu avec impatience. Tourné en 18 jours, le film suit une poignée de journalistes sur le terrain pendant les heures les plus explosives du Printemps arabe.

Werner Herzog, pour sa part, présentera Death Row, son documentaire-fleuve sur les prisonniers condamnés à mort. Suivront au moins trois films sur la catastrophe nucléaire de Fukushima, ainsi que des documentaires sur Bob Marley et sur Ai Weiwei, l'artiste chinois controversé.

En parlant de controverse, cet ingrédient indispensable à l'identité de la Berlinale a pris de l'avance. Le festival n'est même pas commencé qu'il est déjà attaqué par deux cinéastes allemands aux styles radicalement opposés, tous deux mécontents de la direction prise par le l'événement. D'un côté, il y a Doris Dörrie, une cinéaste grand public qui a connu un succès fulgurant dans les années 80 avec la comédie de moeurs Men. Or, bien qu'elle ait été invitée à présenter son dernier film, Glück, hors compétition, elle reproche à la Berlinale d'être coupée du grand public, plaidant que cette séparation est risquée et mal venue.

Au même moment, Klaus Lemke, le mauvais garçon du cinéma allemand indépendant, affirme exactement le contraire, reprochant à la compétition d'être trop commerciale et conçue par une bande d'enfants de maternelle sur le speed. Comme son plus récent film, Berlin pour les héros, n'a pas été retenu par la Berlinale, Klaus Lemke a promis d'aller manifester sur le tapis rouge ce soir avec Saralisa Volm, une actrice plus reconnue pour ses seins nus que pour son talent.

Chose certaine, si ces deux-là veulent occuper le tapis rouge ce soir, ils auront intérêt à s'habiller jusqu'au cou, sinon à se pointer avec une tente ou un abri Tempo.