C'est à la fois l'aboutissement d'une campagne électorale, une célébration du cinéma, un défilé de robes de bal, une amusante loterie et la deuxième émission la plus regardée de l'année aux États-Unis, après le Super Bowl.

La soirée des Oscars est aussi l'occasion, pour les cinéphiles, de se crêper le chignon à propos des sélections de l'Académie des arts et des sciences du cinéma. Une séance de défoulement collectif où l'on regrette l'absence d'untel, le camouflet infligé à tel autre ou encore le manque de tonus dans l'animation de Billy Crystal.

Les Oscars, de tout temps, ont été un prétexte pour rouspéter. Et ça rouspète ces jours-ci à Hollywood depuis que le Los Angeles Times a publié une «enquête» sur l'Académie, en début de semaine, révélant que 94% de ses 5765 membres sont blancs, à 77% des hommes et à 14% seulement, âgés de moins de 50 ans.

L'Académicien moyen a la peau et les cheveux blancs, 62 ans et trouve que The King's Speech, un film d'époque divertissant, pétri d'humour, d'esprit et de bons sentiments, méritait l'an dernier l'Oscar du meilleur film.

Demain, selon toute vraisemblance, l'Académie plébiscitera un autre film consensuel qui possède ces mêmes qualités, et qui est campé en plus à Hollywood même, à l'époque du cinéma muet et monochrome. Un pastiche inspiré, réalisé par un cinéaste français et mettant en vedette des acteurs français - et un chien - inconnus jusqu'à tout récemment aux États-Unis.

The Artist est-il pour autant un choix audacieux de l'Académie comme probable vainqueur de l'Oscar du meilleur film (entre autres prix)? Pantoute. Le long métrage au parfum de nostalgie de Michel Hazanavicius semble presque fait sur mesure pour les Oscars, ce qui n'est pas nécessairement un défaut. Aux yeux de son distributeur Harvey Weinstein, derrière le succès de The King's Speech (pas muet, mais bègue), c'est certainement une qualité.

Dès le Festival de Cannes en mai dernier, où il en a fait l'acquisition, Weinstein, passé maître dans les campagnes aux Oscars, a fait courir la rumeur qu'il avait trouvé en The Artist son nouveau fer de lance pour les Academy Awards. Quand on connaît son public...

Est-ce parce qu'il est vieillissant, ce public, qu'il a omis honteusement Shame dans la catégorie du meilleur film de l'année et snobé l'extraordinaire performance de Michael Fassbender en accro du sexe? Mardi, le cinéaste Steve McQueen a déclaré que Fassbender n'avait pas été retenu dans la catégorie du meilleur acteur en raison de la «crainte du sexe» de l'Amérique puritaine. Quand on constate que Rick Santorum est considéré comme un candidat sérieux à la Maison-Blanche, on se dit que ça se peut.

Si le triomphe de The Artist comme meilleur film semble presque acquis, les catégories d'interprétation semblent plus imprévisibles. Chez les hommes, la lutte se fera vraisemblablement entre Jean Dujardin, la nouvelle coqueluche d'Hollywood, parfaitement dans le ton de The Artist, et George Clooney, l'homme-que-tout-le-monde-aime, excellent dans The Descendants d'Alexander Payne.

Avantage au Français, dont les steppettes et le sourire suave de dandy ont récemment charmé les électeurs des Screen Actors Guild Awards. Ces prix remis par les acteurs du cinéma américain, qui représentent la majorité des membres de l'Académie, sont d'ordinaire des indicateurs fiables des Oscars.

Logiquement, puisqu'elle a aussi été sacrée meilleure actrice par ses pairs, Viola Davis devrait remporter l'Oscar de l'interprétation féminine. Mais son rôle dans The Help, un film sur la ségrégation dans le Sud des États-Unis, noyé dans les bons sentiments, se démarque si peu du reste de la distribution que j'ai l'impression que l'Académie pourrait plutôt couronner la reine Meryl Streep.

La lauréate de l'Oscar de la meilleure actrice pour Kramer vs Kramer (en 1980) et Sophie's Choice (1983) a été nommé à 12 reprises depuis par l'Académie, repartant chaque fois Gros Jean comme devant. Elle est «due», come on dit, d'autant plus qu'elle incarne un personnage de Margaret Thatcher fort convaincant dans un film, The Iron Lady, qui l'est beaucoup moins.

Une autre lutte qui semble serrée est celle dans la catégorie de l'Oscar du meilleur réalisateur. Ses pairs ont plébiscité le Français Michel Hazanavicius à l'occasion des Directors Guild of America Awards, ce qui en fait d'office le favori (les choix de la DGA et de l'Académie concordent très souvent).

Mais Martin Scorsese ou encore Woody Allen sont aussi pressentis par bon nombre d'observateurs pour repartir avec une figurine chauve et dorée sous le bras. Un prix de consolation pour Martin Scorsese, dont le film Hugo, le plus souvent cité à la veille de la cérémonie, est aussi un hommage au cinéma muet (de Georges Méliès)? Je parie plutôt un p'tit deux sur Hazanavicius.

Reste que s'il n'en tenait qu'à moi, le prix de la réalisation serait remis à Terrence Malick pour The Tree of Life. Un film pompeux, prétentieux, grandiloquent, agaçant, nouvel-âgeux (ajoutez votre défaut préféré), qui est aussi un objet de cinéma magistral, d'une esthétique et d'une fluidité exceptionnelles. Une leçon de mise en scène. Rien de moins.

On aura beau rouspéter - après tout, c'est le propre des Oscars -, le meilleur film de 2011 (à mon sens) ne repartira pas bredouille demain soir. Il ne s'agit pas de The Artist, qui n'est même pas à mon avis le meilleur film français de l'année (Polisse de Maïwenn prend l'affiche vendredi).

Malheureusement, Une séparation d'Asghar Farhadi, à l'affiche au Québec depuis hier, n'est pas en lice pour l'Oscar du meilleur film. (C'est un long métrage iranien, vous n'y pensez pas?) Si la logique est respectée, il obtiendra l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Ce qui n'est pas une bonne nouvelle pour Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau. Mais une bonne nouvelle, de façon générale, pour le cinéma.