Le film le plus populaire en Amérique du Nord depuis deux semaines, The Lorax, est un long métrage d’animation classique, destiné à la famille, avec morale manichéenne à la clé. Les bons d’un côté, les méchants de l’autre. Pas besoin de vous faire un dessin.


Cette fable écologiste plutôt bien ficelée, tirée d’un célèbre conte de Dr Seuss, dénonce la cupidité et l’appât du gain par l’entremise d’un message très clair : l’argent ne fait pas le bonheur (c’est même le contraire).

Des commentateurs de droite aux États-Unis, dont Lou Dobbs à Fox News, ont accusé ce « film anticapitaliste » de faire de la propagande environnementaliste auprès des jeunes. Le chroniqueur de gauche que je suis est... d’accord.

J’ai été surpris, en sortant d’un cinéma américain la semaine dernière, que ce film qui présente l’entrepreneuriat comme l’ennemi de l’écologie ne soit pas davantage dénoncé par les Rick Santorum de ce monde comme un dangereux outil d’endoctrinement des enfants au mépris de la libre entreprise.


Claude Vaillancourt, militant altermondialiste qui est aussi professeur de littérature, romancier et essayiste, n’a pas vu The Lorax. Mais il est convaincu qu’il s’agit d’une exception qui confirme la règle. Ce cinéphile a publié il y a quelques semaines Hollywood et la politique aux éditions Écosociété, un essai sur le traitement par l’industrie du cinéma américain des questions sociales et politiques.


Il a analysé quelque 150 films américains, se restreignant aux 30 dernières années, afin de proposer un guide critique qui puisse aider les cinéphiles à mieux « décoder » les messages politiques du cinéma hollywoodien.


Selon Claude Vaillancourt, qui ne cache pas son parti pris de gauche, mais dont l’essai reste néanmoins nuancé, Hollywood a tout intérêt à défendre le capitalisme. « Le système de production hollywoodien est axé sur la recherche de profits, l’exportation, la transmission des valeurs américaines, dit-il. Mais il y a des artistes dont les films vont à l’encontre de cette logique dominante. Je me suis toujours demandé dans quelle mesure ils étaient libres et pouvaient échapper au contrôle de l’industrie. »


Existe-il une liberté de création réelle à Hollywood, où les studios ont d’ordinaire le droit de regard sur le montage final d’un film ? Les réalisateurs et scénaristes hollywoodiens servent-ils malgré eux de propagandistes d’une idée du monde, d’un schème de pensée, d’un rêve américain dont leur industrie fait forcément la promotion ?

Voilà le genre de questions que pose Claude Vaillancourt dans un essai pertinent, au ton parfois didactique, construit de manière à dégager trois tendances du cinéma hollywoodien dans son rapport à la politique américaine depuis l’éclosion du néolibéralisme sous la présidence de l’ex-acteur Ronald Reagan.

Le cinéma du statu quo, qui fait la promotion des intérêts commerciaux des studios et des discours politiques officiels (Rocky IV, avec la foule moscovite qui se retourne à la fois contre le méchant Drago et le joug du communisme). Le cinéma du questionnement, qui ose s’opposer aux valeurs dominantes sans remettre complètement en cause l’ordre établi (Wag the Dog de Barry Levinson, par exemple). Et le cinéma subversif (Bullworth de Warren Beatty, notamment), que l’auteur trouve trop peu présent à l’écran.


« Les films subversifs et décapants sont beaucoup moins bien distribués que les films consensuels, rappelle Claude Vaillancourt. Il faut du courage, une indépendance, pour aller à contre-courant du discours officiel. »


Pourtant, la droite américaine se plaît à dire que Hollywood est un terreau de gauchistes, des films comme The Lorax à l’appui... « Il y a certainement des sympathies à Hollywood pour des idées de gauche et des questions de justice sociale, reconnaît Claude Vaillancourt. Le public est déçu quand le méchant l’emporte. Mais l’industrie elle-même fait plutôt la promotion de l’idéologie dominante. »


S’il reconnaît que le cinéma hollywoodien offre dans son ensemble un prisme assez large d’opinions sur l’échiquier politique, Claude Vaillancourt regrette que certains films qui posent des questions d’éthique sociale et politique essentielles n’aillent pas au bout de leur logique.


« Souvent, ces films mettent en scène des héros solitaires, qui vont vaincre une entreprise corrompue par quelques individus [Erin Brockovich de Steven Sodebergh, par exemple]. Mais on s’attaque rarement au système et aux questions fondamentales. Dans le cinéma américain, on aime que ça se termine bien. »


Il est vrai que Hollywood aime l’image projetée du « happy end » et de l’«American Dream », qui contribue à l’aplanissement des contenus artistiques. L’industrie du cinéma est une machine bien huilée et il serait naïf de croire qu’elle ne participe pas sciemment, notamment par intérêt commercial, à l’hégémonie culturelle américaine dans le monde ainsi qu’à une certaine forme de « fabrication du consentement », comme dirait Noam Chomsky.


Mais il n’y a qu’un pas entre la critique des valeurs promulguées par la société américaine et l’antiaméricanisme. « Je ne crois pas que mon essai soit antiaméricain, se défend Claude Vaillancourt. Je trouve qu’il y a aux États-Unis une diversité de discours impressionnante. Le cinéma est important dans la culture américaine. Il reflète assez bien la société. Mais la liberté réelle est difficile à prendre pour les cinéastes et scénaristes et il y a une très grande autocensure. Il faut garder un sens critique, rester attentif aux détails, pour mieux comprendre tous les rouages. »


À propos de Fellag
Plusieurs m’ont posé la question cette semaine, alors voici la réponse. Non, il n’y a pas de froid entre l’équipe de Monsieur Lazhar et Fellag, l’interprète de Bachir Lazhar en personne. S’il n’a pas été beaucoup question de l’acteur d’origine algérienne lors du gala des Jutra, dimanche, c’est qu’il était retenu sur scène en France pour son nouveau spectacle, Petits chocs des civilisations. Et que le cinéaste Philippe Falardeau, s’autorisant avec raison une certaine spontanéité dans ses remerciements (toujours pertinents), a carrément oublié de remercier son acteur principal.


« Dans le tourbillon émotif de la soirée des Jutra, personne n’a fait mention de la contribution phénoménale et généreuse de Fellag. Je prends l’entière responsabilité d’avoir oublié de remercier publiquement mon ami, pour qui j’avais pourtant préparé un court mot », m’a écrit Philippe Falardeau cette semaine. Dommage pour les adeptes de théories du complot...