Comment un film s’inscrit-il dans l’histoire? Tous les dix ans, le prestigieux magazine britannique Sight and Sound sonde quelques dizaines de critiques de cinéma parmi les plus réputés dans le monde et dresse sa liste des dix meilleurs films de tous les temps.

Le fameux sondage a d’abord été réalisé en 1952, la seule fois que Citizen Kane d’Orson Welles n’a pas été classé au premier rang (Le voleur de bicyclette de Vittorio de Sica lui avait été préféré). Il a été répété chaque décennie depuis, donnant une indication, à long terme, de la pertinence et de la valeur historique des plus grands longs métrages de fiction.

Dans le dernier sondage de Sight and Sound, en 2002, Citizen Kane n’a devancé Vertigo que par deux voix. Grâce entre autres au vote du plus célèbre des critiques de cinéma, l’Américain Roger Ebert, qui a inclus pour la première fois le film d’Alfred Hitchcock dans sa liste.

Roger Ebert est depuis 1972 l’un des critiques qui déterminent les lauréats de ce palmarès. Appelé à voter de nouveau au cours des prochains jours, le critique du Chicago Sun-Times a dévoilé jeudi, sur son blogue, le nouveau « candidat » qu’il essaiera de faire élire cette année.

En 2002, Ebert avait sélectionné Aguirre, la colère de Dieu de Werner Herzog, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, Citizen Kane d’Orson Welles, La Dolce Vita de Fellini, The General de Buster Keaton, Raging Bull de Scorsese, 2001 : A Space Odyssey de Stanley Kubrick, Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu, Vertigo d’Hitchcock et le Décalogue de Kieslowski (qu’il a dû écarter cette fois, car on a jugé qu’il comptait pour dix films). Quatre de ses films préférés avaient été retenus.

Roger Ebert, comme bien des critiques, a un rapport ambigu avec les listes de films, qu’il trouve « ridicules » mais auxquelles il accorde néanmoins une certaine importance. « Quand on décide de se prêter au jeu, on y va jusqu’au bout », dit-il.

Aussi a-t-il décidé de faire un peu de « propagande » autour du nouveau titre qu’il a sélectionné. « Parce que je crois que c’est un film important, qui ne prendra que davantage d’importance au cours des années à venir. » Ce film, c’est The Tree of Life de Terrence Malick, qui a d’ailleurs été nommé le meilleur film de 2011 par les critiques sondés par Sight and Sound.

J’ignore si Roger Ebert a raison de croire que The Tree of Life sera un jour considéré comme l’un des films les plus importants de l’histoire du cinéma. On le saura dans une décennie ou deux, peut-être. En revanche, je conviens avec lui que parmi les œuvres majeures des dernières années (complètement ignorées par le palmarès de Sight and Sound), ce film extrêmement ambitieux, à la hauteur de ses immenses prétentions, est à marquer d’une pierre blanche dans la cinématographie mondiale.

Robert DeNiro avait d’ailleurs eu les mêmes mots que Roger Ebert, l’an dernier, en remettant la Palme d’or à cette œuvre remarquable, plus grande que nature, suave, fluide, élégante et par moments irritante. « Je crois que c’est un film important. » Moi aussi, Bobby.

Cannes

Mercredi, le Festival de Cannes a dévoilé la composition du jury de sa 65e compétition officielle, qui se déroulera du 16 au 27 mai. Il est de bonne tenue. Avec les réalisateurs Alexander Payne, Andrea Arnold et Raoul Peck, les comédiens Diane Kruger, Emmanuelle Devos, Ewan McGregor et Hiam Abbas, ainsi que le couturier Jean Paul Gaultier, sous la présidence de Nanni Moretti.

Ils ne sont que neuf jurés. Mais dans un mois, ils marqueront à leur tour l’histoire du cinéma. En faisant, ou pas, les choix qui s’imposent. On spéculera d’ici là sur les inclinations naturelles des uns et les accointances artistiques des autres. On se demandera qui, parmi le groupe, a le plus d’ascendant (Nanni Moretti, semble-t-il, ne s’en laisse pas imposer) et on tentera de deviner à qui ira la fameuse Palme d’or.

Les apparences sont souvent trompeuses. J’ai hardiment prédit la Palme d’or à The Tree of Life l’an dernier, comme j’avais naïvement prédit celle de Dancer in the Dark à mon premier séjour sur la Croisette, il y a 12 ans. Les palmarès, à Cannes comme ailleurs, dépendent essentiellement des goûts des jurés, d’ordinaire très variés.

Or, et la chose peut sembler paradoxale, même les films des jurés ne sont pas nécessairement des indicateurs fiables de leurs propres goûts cinéphiliques. Si j’avais pris le soin de réfléchir au fait que Luc Besson était à la tête du jury de la compétition à Cannes en 2000, je n’aurais sans doute pas prédit la Palme d’or à Lars von Trier, tellement leurs cinémas sont aux antipodes l’un de l’autre.

Il faut voir The Lady, à l’affiche vendredi, pour s’en convaincre. Cet hommage biographique à la révolutionnaire birmane Aung San Suu Kyi (Michelle Yeoh) a beau être le plus classique des films de Luc Besson depuis un moment, il évacue la plupart des enjeux politiques au profit d’un drame sentimental enrobé de musique sirupeuse. On est loin de Björk qui chante dans sa cellule en attendant d’être pendue.

Si un jury présidé par Luc Besson, le plus américain des cinéastes français, est capable de récompenser une œuvre qui s’oppose, dans sa forme comme son fond, à tout ce que représente son propre cinéma, c’est qu’il y a de l’espoir à Cannes pour tous les types de cinémas.

Et que sous la présidence de Nanni Moretti, dont le cinéma marie souvent brillamment le comique et le tragique – Habemus Papam, aussi à l’affiche vendredi, tire un peu trop à mon avis du côté du burlesque –, tout est possible. Il y a 22 candidats. Il n’y aura qu’une Palme d’or. Sera-t-elle « historique »? L’avenir nous le dira.