Ils se sont réunis devant le Palais des Festivals, brandissant un grand carré de tapis rouge et un drapeau rouge, des carrés de feutre à la boutonnière. Ils n’avaient pas l’air armés, malgré leurs parapluies. Je l’écris sous toute réserve. Ils portaient pour la plupart des imperméables. Je n’ai pu faire qu’une inspection sommaire et visuelle.

«Combien êtes-vous?» que je leur ai demandé. Ils sont restés vagues, refusant de se risquer à une «évaluation de foule» (leurs mots). De source sûre, j’ai appris qu’ils n’avaient pas fait connaître leur itinéraire huit heures à l’avance, même si le projet de leur manifestation avait été fomenté deux jours plus tôt.

Plusieurs portaient la barbe. L’un d’entre eux, une moustache. Me croyant légitimé par ma formation en droit (malgré le souvenir vague que j’en garde), j’ai été tenté de procéder à une arrestation civile collective. Je ne l’ai pas fait.

Ne reculant devant rien, malgré la pluie battante, j’ai fait le compte des manifestants et/ou sympathisants. Ils étaient moins de cinquante. Prudents et astucieux. Une trentaine de jeunes Québécois du milieu du cinéma, cinéastes de courts métrages et producteurs, manifestant pacifiquement sur la Croisette à l’appui des mouvements étudiants.

Dénonçant la Loi 78, qui a «des allures de loi martiale» (leurs mots), ils ont marché du tapis rouge de la salle Debussy (où ils avaient d’abord prévu un «sit-in») jusqu’à celui du Théâtre Lumière. Environ 300 mètres, à vue de nez, en criant «So-so-so, solidarité!». Puis, sans avertissement, ils sont revenus sur leurs pas, sous les regards curieux des passants et des journalistes. Ils ont été photographiés. Il y a donc, rassurez-vous, des preuves de leur dissidence.

J’ai attendu l’intervention des forces de l’ordre: des policiers, des pompiers, des gendarmes, des gardiens de sécurité. Même des ambulanciers du SAMU auraient fait l’affaire. J’ai attendu en vain. Où est l’armée quand on en a besoin? Pas le moindre coup de matraque, pas même une pincée de poivre de Cayenne. Sous les pavés, l’indifférence. Près de l’hôtel Majestic, j’ai vu deux CRS qui mangeaient des cornets de crème glacée dans leur camion. La belle vie.

«On se dit depuis deux ou trois jours qu’il faut qu’on fasse quelque chose, m’a confié la cinéaste Marie-Ève Juste, qui présente demain son court métrage Avec Jeff, à moto, à la Quinzaine des réalisateurs. Il faut dénoncer cette loi, chacun à sa façon. On espère sensibiliser les médias internationaux à ce qui se passe chez nous.»

Ils le sont. Davantage depuis l’adoption de cette loi spéciale, les médias français s’intéressent à l’actualité québécoise. J’ai été réveillé tôt hier matin par un bulletin de nouvelles radio qui faisait mention, dans sa deuxième manchette, de «loi répressive», de «brutalité policière» et de «restriction des libertés fondamentales». Pendant un instant, cette reconnaissance internationale m’a rendu très fier d’être Québécois. Oui, j’ironise…

Cronenberg et fils

À 32 ans, le Canadien Brandon Cronenberg attire l’attention à Cannes avec son premier long métrage, Antiviral, présenté dans la section Un Certain Regard. Dimanche, une file serpentait le Palais des Festivals en attente de sa projection, malgré la somme quasi uniforme de mauvaises critiques.

Ce que l’on reproche le plus au film de Brandon Cronenberg? De trop ressembler à ceux de son célèbre père, David. Son récit futuriste et cauchemardesque, d’admirateurs de célébrités se faisant inoculer les mêmes virus que leurs idoles, rappelle entre autres Videodrome de Cronenberg père.

On peut comprendre que la pomme ne soit pas tombée loin de l’arbre. Mais non seulement le fils s’approprie l’univers du père, il emprunte aussi ses tics. Ce qui a fait dire à l’ami Lussier que son prochain film devrait s’intituler J’ai tué mon père…

«J’ai longtemps refusé de faire du cinéma parce que mon père en faisait. Mais je me suis dit que ce n’était pas une raison valable de ne pas en faire», a déclaré hier Brandon Cronenberg à l’occasion d’une rencontre de presse organisée au Majestic par Téléfilm Canada, intitulée «Père et fils».

C’est la première fois de l’histoire du Festival de Cannes que les films d’un père et d’un fils sont présentés simultanément en sélection officielle. Cosmopolis de David Cronenberg, mettant en vedette Robert Pattinson (Twilight), est attendu en compétition vendredi, Il s’agit du quatrième film du cinéaste canadien à concourir pour la Palme d’or après Crash, Spider et A History of Violence.

«J’ai été très ému de monter les marches pour le film de Brandon. Ça m’a pris 20 ans de carrière avant de présenter un film à Cannes. Lui y est dès son premier film! C’est très excitant», a dit le cinéaste de Dead Ringers. «Je l’ai trouvé adorable», dit le fils, aussi timide et peu loquace que son père est comique et spirituel.

Comment réagit-il aux comparaisons inévitables entre son film et le cinéma de son père? «Je suis un peu las de cette question récurrente, répond Brandon Cronenberg, visiblement sur la défensive. C’est mon père. Nous avons des intérêts communs et c’est tout à fait normal.»

Le fils, qui a souvent fréquenté les plateaux de tournage de son père et étudié le cinéma à l’Université Ryerson, a fait ses débuts au sein de l’équipe des effets spéciaux d’eXistenZ.

«Nous avons tous les deux un intérêt pour la biologie et la nature, explique David Cronenberg. Une affection particulière pour l’étrangeté de la vie animale sur Terre, peu importe sa forme. C’était le cas même quand il était petit.»

Cronenberg père dit avoir offert un minimum de conseils à son fils, dans l’élaboration de son premier long métrage. «J’ai lu son scénario, que j’ai beaucoup aimé. Je l’ai trouvé drôle et subtil. Je lui ai fait deux ou trois suggestions, rien de plus.»

Ce qui n’empêche malheureusement pas Antiviral de porter l’empreinte du paternel. «Je suis littéralement le clone de mon père. Nos intérieurs sont identiques», dit Brandon Cronenberg sur le ton de l’ironie. C’est lui qui le dit.

Cannes en coup de vent

La Semaine de la critique, section parallèle du festival, présentait dimanche Hors les murs, un film du Belge David Lambert, dans lequel la Québécoise Mélissa Désormeaux-Poulin (Incendies) a un petit rôle. «Contrairement aux Oscars, j’ai l’impression qu’à Cannes, les discussions sont plus centrées sur les films que sur tout ce qui les entoure», m’a-t-elle dit au terme de la projection.

Arrivée sur la Croisette jeudi, la jeune actrice est repartie hier au Québec, où elle tourne actuellement Gabrielle de Louise Archambault (Familia). Hors les murs, un film sur les amours déchirantes d’un couple homosexuel, intéressant mais plutôt convenu d’un point de vue formel, doit prendre l’affiche au Québec le 15 juin.