Son cinéma renvoie l'image d'un artiste froid, cérébral, tordu, tourmenté. David Cronenberg est tout sauf froid. Brillant certes, mais spirituel, charmant, avenant, généreux. Joyeux, dit-il, dans la vie comme dans la création.

«Même quand je fais un film très sombre, je ne suis habité par aucun démon. J'aime avoir du plaisir sur un plateau de tournage. J'aime quand il y a de l'humour, même si le sujet est grave», a-t-il dit récemment, à l'occasion d'une rencontre de presse organisée dans le cadre du Festival de Cannes, où il présentait son plus récent film, Cosmopolis, à l'affiche vendredi.

David Cronenberg est joyeux. C'est aussi un cinéaste à la réputation sulfureuse, qui n'a jamais craint la controverse. Il a choqué un certain public avec Crash, cocktail visuel de sexe, de violence et d'accidents de voiture, Prix du jury à Cannes en 1996. Il a présidé l'une des éditions les plus contestées du Festival de Cannes, en 1999, en remettant la Palme d'or à Rosetta des frères Dardenne (alors que tout le monde attendait le sacre de Tout sur ma mère d'Almodovar).

Le plus célèbre des cinéastes canadiens divise depuis toujours les cinéphiles. Ses films sont adorés et détestés, parfois par les mêmes personnes. Pourtant, le réalisateur de 69 ans, qui en entrevue est chaleureux et affable - sa nature profonde, confirment des journalistes torontois qui le côtoient depuis longtemps -, ne projette pas une image de trublion, susceptible de polariser les opinions.

Je l'ai rencontré à quelques reprises depuis 10 ans, et j'ai toujours été frappé par l'acuité de son sens de l'humour, qui n'est pas toujours présent dans son cinéma. «Quand j'étais jeune, j'aspirais à être un obscur romancier, dit-il. Aujourd'hui, j'aspire à être un obscur cinéaste. Le hic, c'est que c'est plus difficile de trouver du financement quand on est un obscur cinéaste.»

L'humour noir (forcément) de cet «obscur cinéaste» se traduit aussi dans ses goûts cinématographiques. Que répond-il quand on lui demande de relater ses premiers souvenirs de cinéma? «Pour moi, c'est Bambi, dit-il, mi-figue, mi-raisin. C'est un film terrifiant. Un vrai film de peur.»

Ce Torontois d'origine a toujours refusé de s'installer à Los Angeles, malgré l'appel des sirènes hollywoodiennes. «J'ai vu ce que c'était, avec mon ami Ivan Reitman. On en vient à vivre dans un monde qui ne concerne que le cinéma. J'avais envie d'une vie à l'extérieur du cinéma. Pour les enfants aussi [sa fille Caitlin et son fils Brandon, aussi cinéaste]. Pour que les films ne soient pas tout.»

Ce grand cinéphile a par ailleurs des opinions arrêtées sur le cinéma. «Bien des directeurs photo pensent qu'ils sauraient facilement faire un film. Parce qu'ils ont passé beaucoup de temps sur des plateaux de tournage. Rien ne peut préparer quelqu'un à faire un film, sinon de le faire.»

Aussi, croit-il en la spontanéité de l'acte de filmer et n'a pas l'habitude de répéter ni de conseiller les acteurs. «Je dis généralement aux acteurs: sois bon! C'est mon conseil le plus fréquent. Les comédiens viennent souvent sur le plateau avec une idée de ce qu'ils veulent faire. Nous partons de là. J'ajoute mon grain de sel, ma vision, et nous arrivons d'ordinaire à quelque chose. J'ai mis un moment à comprendre qu'on pouvait être honnête avec certains acteurs, mais pas avec d'autres, pour en faire des collaborateurs.»

Cronenberg a beau être fasciné depuis toujours par la technologie, Cosmopolis est son premier film tourné avec une caméra numérique. Il n'est pas du tout nostalgique de la pellicule, dit-il, sauf pour son odeur particulière. «On devrait commercialiser un vaporisateur Kodak, qui embaume la pièce d'une odeur de pellicule!»

L'humour de David Cronenberg, qui pimente ses traits d'esprit, transparaît rarement dans Cosmopolis, un film clinique qui a reçu un accueil somme toute tiède à Cannes, en fin de festival, il y a une semaine. Certains ont crié au génie, d'autres au ratage, les applaudissements ont côtoyé les huées, comme c'est souvent le cas avec ses films.

Cette oeuvre nihiliste, plus «cronenberguienne» que son dernier film, A Dangerous Method, est une adaptation du célèbre roman éponyme de Don DeLillo. Cela se sent. Les dialogues ont été repris pratiquement tels quels, du propre aveu du cinéaste. À l'arrivée, cela donne un film non seulement littéraire et théâtral, mais verbeux et bavard, ennuyeux et sans âme.

Ce que n'aide en rien le jeu plat et désincarné du jeune Robert Pattinson, omniprésent à l'écran, auquel on trouvait plus de vie et de charisme sous les traits diaphanes du vampire de Twilight. Il interprète Eric Packer, jeune surdoué de la finance, milliardaire de 28 ans sans états d'âme, qui tient à traverser Manhattan en limousine pour aller se faire couper les cheveux, alors que New York est à feu et à sang, sous la pression d'émeutiers altermondialistes.

Malgré la thématique parfaitement dans le ton de l'actualité - le film a été tourné au plus fort du mouvement Occupy Wall Street -, malgré le discours tranchant sur le capitalisme, la spéculation et la tyrannie des marchés, qui donne des airs clairvoyants au roman de Don DeLillo (publié en 2003), Cosmopolis tourne à vide.

Dans son luxueux bureau mobile, le jeune roi Packer reçoit sa cour à la queue leu leu: maîtresses, médecin, associés, etc. La mise en scène de ce huis clos, inquiétante, claustrophobe, hors du temps, a beau porter la signature unique de Cronenberg, plaquée aussi artificiellement sur un récit aussi dense, elle n'arrive pas à sauver le film du naufrage. Le cinéaste aime s'attaquer à des oeuvres réputées inadaptables (Naked Lunch de William H. Burroughs entre autres). Cela, à l'évidence, comporte des risques.

Ce qui n'empêchera pas, j'en suis convaincu, Cronenberg de tourner son prochain film, Map To The Stars - selon les rumeurs toujours avec Robert Pattinson -, dans la joie et l'humour.