Ils voulaient savoir si j'avais vu Monsieur Lazhar. Ils me faisaient penser aux élèves du film de Philippe Falardeau. Beaux, curieux, allumés, parfois dissipés. Une classe de cinquième année, dans une école du Plateau. Et un feu roulant de questions.

Comment choisit-on un sujet de chronique? Peut-on toujours écrire ce qu'on pense? Est-ce plus difficile de critiquer un film québécois qu'un film américain? Peut-on être ami avec un artiste quand on est chroniqueur? Doit-on toujours trouver des qualités à un film qu'on n'a pas aimé? Sur quels critères doit-on se baser pour juger de la qualité d'un film? Est-ce plus intéressant de rencontrer un cinéaste ou un acteur? Qui décide de la date de sortie d'un film?

Je m'attendais, sincèrement, à davantage de «Est-ce que Robert Pattinson est aussi beau en vrai qu'au cinéma?» Je me demandais, en fait, ce qu'un garçon ou une fille de 10 ou 11 ans peut bien vouloir savoir du métier de chroniqueur et de critique de cinéma. Bien des choses, semble-t-il.

J'ai répondu que oui, j'avais vu Monsieur Lazhar. Que je choisissais moi-même mes sujets de chroniques, pour le meilleur et pour le pire. Que j'écrivais généralement ce que je pense, mais que je pensais toujours ce que j'écris (au moment de l'écrire). Que je n'étais véritablement «ami» avec aucun artiste, même si j'en appréciais plusieurs. Que les films mauvais, sans qualités, existaient malheureusement. Que dans une critique de film, il y avait des critères objectifs et subjectifs. Que j'aimais rencontrer des créateurs qui ont une vision d'une oeuvre. Et bien d'autres choses encore.

Certains avaient vu, et aimé, Monsieur Lazhar. Et pour cause. J'avais l'impression, dans leur classe, de retrouver certains des personnages du film de Falardeau. Éloquents, sensibles, à l'esprit critique bien aiguisé. Malgré la chaleur d'une salle sans climatisation. Malgré la fin de l'année scolaire. Malgré l'effervescence de cet après-midi pluvieux.

Ils avaient des questions plein la tête. Le petit chétif à l'avant, avec sa voix frêle. La grande blonde déterminée, postée en plein milieu. La brillante noisette, à l'arrière, aux idées si précises. Nous avons joué au ping-pong sans interruption. Inspirant marathon qui s'est prolongé au-delà de l'horaire établi.

Ils avaient aussi envie de parler du carré rouge. Je leur ai dit ce que je pensais de la récupération politique qu'on en avait fait. Je leur ai expliqué pourquoi je n'en portais pas. Je leur ai parlé de réserve journalistique, en m'enfargeant un peu - à mon désarroi - dans les fleurs du tapis.

«J'espère que je ne vous ai pas perdus?», que je leur ai demandé. Je ne les avais pas perdus. Ils m'avaient de leur côté conquis, avec leurs bras levés tous en même temps et leurs questions d'une acuité étonnante. J'aurais pu être dans un cours de cégep ou d'université. Je me souviens d'avoir rencontré des étudiants moins allumés à l'université.

«Qu'avez-vous pensé de Hunger Games?», m'a demandé un grand timide à la peau mate. Je lui ai répondu que j'avais trouvé le film très intéressant, surtout dans son regard critique posé sur la société du divertissement, mais aussi très violent.

«Violent? a répliqué la grande blonde déterminée, en haussant les sourcils de surprise. Vous savez que le film est beaucoup moins violent que les livres?» Il y a eu un bruissement d'approbation, suivi d'un court débat sur la cote donnée au film par la Régie du cinéma: 13 ans et plus ou Visa général déconseillé aux jeunes enfants? Je leur ai avoué, un peu sur la défensive, que s'il n'en tenait qu'à moi, le film aurait été coté 13 ans et plus.

«Vous avez vu ce film-là?», s'est étonnée leur enseignante, sur la seule foi de ma description sanglante. «Ben oui, y a juste au début qu'on tue des enfants», a dit une belle frisée, sur le ton franc et assuré de l'évidence. Juste au début, oui, avec des arbalètes et des couteaux...

Moi qui ai trouvé même E.T. violent, à peu près au même âge (il y a exactement 30 ans), je ne pouvais pas comprendre. Je n'ai pas insisté. Question d'amour-propre. Je ne pouvais pas leur reprocher cette indifférence à la violence, tellement elle n'était pas réfléchie, mais intégrée, naturelle.

Je ne les ai pas seulement trouvés pétillants. Je les ai trouvés informés. De ce qui les entoure. De la vie, de la politique, du cinéma. Ils en ont vu et entendu des choses. Que je n'imaginais pas qu'ils aient pu voir et entendre à leur âge. Mononcle est un peu naïf...

Je les ai quittés à la fois épaté et terrifié par leur évidente lucidité. Réfléchissant à cet âge de l'innocence, qui dure de moins en moins longtemps il me semble. Et à cette culture de la violence à laquelle ils sont exposés de plus en plus jeunes aussi, au cinéma, dans les jeux vidéo, dans les bulletins de nouvelles, dans mon journal. Est-elle vraie? Est-elle fictive? Savent-ils bien faire la différence?

J'ai pensé aux débats de société qui ne les laissent pas indifférents. Aux questionnements éthiques qui germent dans leur esprit. Aux citoyens qu'ils sont déjà. Et j'ai pensé à ces studios qui servent à grandes lampées de la bouillie aux spectateurs, en sous-estimant trop souvent leur culture et leur intelligence. S'ils sont aussi allumés à 10 ou 11 ans, c'est que plus tard ils méritent mieux, certainement.