Non, ce ne sont pas des artistes marginaux de la gauche radicale qui se rassemblent pour chanter l'Internationale. Ce sont des têtes d'affiche du milieu de l'humour. Des artistes populaires, dont la voix porte, qui ont formé la Coalition des humoristes indignés (CHI) dans la foulée de l'adoption de la loi spéciale (78), à l'initiative de l'auteur Daniel Thibault (Mirador).

Le 18 juin, Martin Petit, André Sauvé, Mario Jean, Daniel Lemire, Jean-François Mercier, Laurent Paquin, Guy Nantel, Mike Ward, François Massicotte, Emmanuel Bilodeau, Maxim Martin, Claudine Mercier et Guillaume Wagner seront réunis sur la scène du Théâtre St-Denis, grâce au concours des productrices Luce et Lucie Rozon, afin de dénoncer la loi spéciale du gouvernement Charest et amasser des fonds au soutien des associations étudiantes.

Ce qui devait à l'origine être un spectacle à teneur politique, prévu à l'automne pour prendre le relais des Parlementeries, est devenu un événement militant, qui sera présenté une seule fois, dans moins de deux semaines, en marge du festival Juste pour rire.

«On se plaint souvent que les humoristes ne se mouillent pas. Ils vont se mouiller», assure Daniel Thibault, metteur en scène de ce gala sur le thème de l'indignation, qui dit avoir été convaincu par Laurent Paquin de l'urgence de monter sur scène le plus rapidement possible.

«Avec la loi 78, on n'a pas mis le couvercle sur la marmite, on a mis le feu à high, a déclaré Daniel Thibault hier à l'occasion d'un point de presse. Et parce que le feu était rouge, les gens ont sorti leurs casseroles. Je souligne qu'on a arrêté Amir Khadir, mais que Tony Tomassi court encore...»

Le spectacle de la CHI sera grinçant, promet Daniel Thibault, qui n'a pas l'habitude de faire dans la dentelle. Il dénoncera les liens incestueux entre «l'argent et le pouvoir», sans pour autant être un réquisitoire contre le gouvernement.

«Nous ne formons pas un bloc monolithique, les opinions sont divergentes», dit le metteur en scène, en précisant que tous les membres de la CHI sont unis contre la loi 78, mais pas nécessairement contre une hausse des droits de scolarité. Il encourage les spectateurs à apporter leurs casseroles pour témoigner de leur appréciation de ce gala atypique.

Il est rassurant de voir les humoristes faire leur «juste part» dans la dénonciation de la gestion catastrophique de cette crise qui secoue le Québec depuis trop longtemps. Ils avaient été suspicieusement discrets lors du gala des Olivier. Pour ne pas dire frileux...

C'est d'autant plus rassurant - on m'excusera le cliché - qu'il est permis de dire bien des choses, par le biais de l'humour, qui ne peuvent être dites autrement. Surtout lorsque la liberté d'expression est directement menacée. Le silence relatif des humoristes, dans un tel contexte, avait de quoi inquiéter.

Le spectacle de la Coalition des humoristes indignés sera présenté au profit de la clinique juridique Juripop, organisme à but non lucratif qui représente notamment la FECQ et la FEUQ. L'animateur du gala, qui pourrait être un humoriste de la relève, n'a pas encore été désigné. «Après le rouge et le vert, il y a fort à parier que plusieurs vont rire jaune», croit Luce Rozon, qui s'oppose aussi au bâillon imposé à la population par la loi spéciale (78) et suggère ironiquement au public de fournir son horaire à la police avant de se rendre au Théâtre St-Denis. Ce spectacle, dit-elle, est «une main tendue à la liberté d'opinion», «pour que jamais une autre loi ne soit écrite pour faire taire le monde».

Une affaire de famille

C'était l'éléphant dans la pièce. Avant même que le point de presse de la Coalition des humoristes indignés ne commence, Lucie Rozon s'est présentée comme «la soeur de Gilbert». «Nous ne sommes pas, Luce et moi, contre Gilbert, nous sommes pour les casseroles, a-t-elle déclaré. C'est un choix artistique et idéologique de sortir avec les artistes contre la loi 78. Mais il n'y a aucune bisbille, si ça peut rassurer tout le monde.»

Gilbert Rozon, qui défend le gouvernement et accuse depuis des semaines le mouvement étudiant d'entretenir l'ambiguïté sur la violence (qu'il confond volontiers avec la désobéissance civile), a lui-même nourri cette semaine l'ambiguïté sur son rôle dans la mise sur pied de ce spectacle, lorsqu'il a rencontré les leaders étudiants.

«Je vous garantis que ce spectacle ne sera pas présenté dans le cadre du festival Juste pour rire», a précisé Luce Rozon, avec un sourire qui en disait long sur les divergences d'opinions au sein de sa célèbre famille. Comme du reste dans bien des familles québécoises...