Ses yeux marron pétillent d'intelligence. Elle est humble et éloquente. Posée, nuancée. D'une sourde détermination. À 28 ans, la Montréalaise Marie-Ève Juste me fait penser à ces leaders étudiants qui nous donnent, malgré les dérapages de la crise actuelle, grande foi en l'avenir de notre société.

Elle est étudiante en médecine, en première année de résidence en psychiatrie. Elle porte le carré rouge. Parce que malgré le strass et les paillettes de la Croisette, malgré les abrutis qui la traitent déjà de «B.S. de luxe» sur le web, elle veut afficher sa solidarité et sa dissidence.

Demain, à 16h30, Marie-Ève Juste présentera son tout premier film réalisé en solo, Avec Jeff, à moto, à la Quinzaine des réalisateurs. Prestigieuse section parallèle qui a révélé les Ken Loach, Carlos Reygadas, Michael Haneke et autres Xavier Dolan de ce monde.

Elle se trouve en bonne compagnie. Son court métrage a été choisi parmi quelque 4000 films provenant de partout dans le monde. Dix seulement ont été sélectionnés. Ils seront projetés en deux programmes de cinq films, demain et jeudi.

«Quand j'ai appris la nouvelle de la sélection du film par courriel, je croyais que c'était une blague», me dit-elle, attablée à La Potinière, en face du Palais des festivals. «Et j'ai trouvé que ce n'était pas une blague à faire! C'est seulement quand j'ai vu les films choisis sur le site officiel que j'ai compris ce qui m'arrivait.»

Elle est la seule représentante du Québec à la Quinzaine cette année. Et sa présence y est d'autant plus étonnante qu'elle vient tout juste d'embrasser sa vocation de cinéaste. Elle a coréalisé un premier court métrage, Canicule, avec Félix Dufour-Laperrière, l'an dernier seulement.

Cette brillante jeune femme, qui a des origines haïtiennes (par son père), a hésité un temps entre une carrière de journaliste et de médecin. Elle a été stagiaire à La Presse, à l'été 2007, mais est retournée à ses études de médecine, qu'elle ne compte pas abandonner malgré ses débuts prometteurs dans le cinéma.

«J'espère pouvoir continuer à faire les deux, dit-elle. J'ai toujours voulu faire du cinéma. Je suis cinéphile depuis l'adolescence. Mais pour moi, le cinéma était quelque chose de tellement grand, de tellement inaccessible, fait par des gens avec tellement de talent, que je me disais que ce n'était pas pour moi.»

Elle a d'ailleurs terminé la postproduction de son film entre ses nuits de garde en psychiatrie à l'hôpital Sainte-Justine, se contentant de très peu de sommeil.

Avec Jeff, à moto est une évocation poétique des amours adolescentes entre une jeune Montréalaise d'origine haïtienne (Laury Verdieu) et un camarade de classe énigmatique (Liridon Rachiti), dans le quartier Saint-Michel. Le film aborde subtilement le fameux «syndrome de l'imposteur», et fait écho à celui qui habite toujours Marie-Ève Juste dans son rapport au cinéma.

«C'est mythique, la Quinzaine des réalisateurs, dit-elle. C'est stressant pour moi de m'y retrouver. Je n'ai pas fait d'école de cinéma. Je n'ai pas l'impression d'être du même niveau que les autres cinéastes de la compétition. En plus, on m'a dit que Claire Denis serait présente à la projection. J'ai beaucoup d'admiration pour elle.»

C'est en travaillant comme étudiante à la Cinémathèque québécoise, entre 2003 et 2007, que Marie-Ève a approfondi sa connaissance du septième art et qu'elle a rencontré l'une des productrices de son film, Gabrielle Tougas-Fréchette (Voyous films), qui accompagnait l'an dernier Ce n'est rien de Nicolas Roy en compétition officielle des courts au Festival de Cannes.

Arrivée vendredi sur la Croisette, Marie-Ève Juste doit passer toute la semaine à Cannes. «On vit à sept dans un petit appartement. C'est une vraie commune. Mais j'en profite pleinement. Je rencontre des cinéastes et je vais voir deux ou trois films par jour. On ne dort pas beaucoup!»

Elle scénarise en ce moment un autre court métrage, qu'elle espère pouvoir réaliser l'été prochain, en caressant le rêve de réaliser un jour un long métrage. «Mais je ne veux pas brûler les étapes!» ajoute- t-elle en souriant. Une bonne tête, que je disais.

Entrevues payantes

Brad Pitt est arrivé sur la Croisette hier, à grand renfort de «Oh! et de Ah!», et a ranimé la controverse toute canadienne entourant les cachets exigés par le distributeur Alliance pour interviewer certaines vedettes de cinéma. Le magazine allemand Der Spiegel a repris la nouvelle relayée il y a une quinzaine par le critique Brian Johnson, de Maclean's, selon laquelle il en coûterait 2500 euros (environ 3200$) pour rencontrer Brad Pitt pendant 20 minutes à Cannes. Voilà que la presse française s'empare et s'étonne de l'affaire, notamment le quotidien Libération, qui renvoie à un article du collègue André Duchesne.

Rumeur absolument non confirmée: les distributeurs paieraient cher quiconque serait prêt à dire du bien de A Thousand Words, mettant en vedette Eddie Murphy, qui obtient un gros 0% sur le «tomatomètre» du site Rotten Tomatoes.