À première vue, cela peut ressembler à du charabia bureaucratique. À une formulation bancale et sans conséquence.

Mardi, Le Soleil a révélé qu'une nouvelle disposition du code de conduite de Radio-Canada, révisé il y a un mois, inquiète son Syndicat des communications, qui a déposé un grief.

Il y est prévu, à l'article 1.2, que les employés de Radio-Canada, notamment les journalistes, «aident les ministres à rendre compte au Parlement et à la population canadienne». (À défaut de quoi ils s'exposent «à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'au congédiement immédiat».)

L'énoncé, pour le moins équivoque, ouvre la porte à toutes les interprétations. D'autant plus que le code de conduite de Radio-Canada, en vigueur depuis 2006, n'a jamais fait référence auparavant à une obligation de ses employés envers des élus.

Dans quelles circonstances des journalistes devraient-ils «aider» des ministres? Aucune, répondent en choeur le Syndicat des communications de Radio-Canada et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qui craignent que l'indépendance journalistique ne soit atteinte et que le mandat de Radio-Canada ne soit modifié par le gouvernement conservateur.

Dans une note à ses employés, Radio-Canada a précisé hier que «le nouveau code de conduite stipule clairement que son application se fait sous réserve de la Loi sur la radiodiffusion, qui protège l'indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation du radiodiffuseur public dans la réalisation de sa mission et l'exercice de ses pouvoirs».

M'est avis que malgré ces mots rassurants, les syndicats de journalistes ont raison d'être aux aguets.

Car à qui s'adresse cette disposition si elle exclut expressément les journalistes? Aux techniciens qui ont l'obligation d'aider des ministres à être bien éclairés en ondes? Aux employés de soutien qui ont l'obligation de déneiger les escaliers afin d'aider des ministres à se rendre aux bureaux de Radio-Canada?

Tel que libellé, cet ajout au code de conduite peut certainement faire craindre, du moins en apparence, une ingérence politique du gouvernement fédéral dans le service de l'information de Radio-Canada.

En près de 20 ans de métier, je n'ai jamais connu un gouvernement aussi maladivement préoccupé par le contrôle de l'information. Je n'ai jamais eu affaire à un gouvernement qui rechignait autant à répondre aux questions des journalistes. Ce qu'il fait parfois des jours plus tard, de manière évasive et sibylline. Quand il se donne la peine de le faire. Et ça, c'était quand il était minoritaire...

Depuis un an, le gouvernement fédéral interdit de plus en plus à des gens qu'il considère comme sous son joug de communiquer avec des journalistes. C'est le cas, comme l'a rappelé récemment mon collègue François Cardinal, de certains scientifiques, carrément muselés par le gouvernement Harper lorsque leurs recherches ne sont pas conformes à l'idéologie du Parti conservateur.

Le nouveau code de conduite de Radio-Canada, qui satisfait aux nouvelles exigences en matière d'éthique imposées en décembre à toutes les institutions fédérales, semble assimiler les journalistes à des fonctionnaires tenus à un «devoir de loyauté» envers le gouvernement.

Or les journalistes, comme du reste les scientifiques, ne peuvent être considérés comme de simples employés de l'État (ils ne sont d'ailleurs pas des fonctionnaires au sens de la Loi sur la radiodiffusion). Les enquêtes des uns et les recherches des autres ne sauraient être soumises à l'approbation du parti au pouvoir. Cela va de soi.

Les journalistes n'ont pas à «aider» qui que ce soit, sinon le public à mieux comprendre les enjeux de société. On loue avec raison, depuis plusieurs mois, le travail des journalistes de l'émission Enquête de Radio-Canada, qui a permis de mettre en lumière plusieurs cas de corruption dans les milieux politiques.

Si le devoir des employés de Radio-Canada «d'aider» les ministres implique comme corollaire une obligation de ne pas leur nuire, peut-on être convaincus que les journalistes de Radio-Canada auront toujours les coudées franches pour dévoiler des scandales qui touchent au gouvernement fédéral? Et qu'ils auront toujours la liberté, le soutien et le financement nécessaires afin de mener à terme leurs enquêtes?

En ces temps de coupes budgétaires considérables dans le service public, qui peuvent être interprétées comme une tentative d'intimidation de la part du gouvernement, rien n'est moins sûr.

Le gouvernement Harper a déjà à sa feuille de route quelques précédents qui démontrent qu'il confond à loisir télévision publique et télévision d'État. Un ministre du Patrimoine n'a pas à intervenir directement auprès d'un diffuseur public, comme l'a fait récemment James Moore, pour faire interdire la diffusion d'une émission (la série française Hard) qu'il ne juge pas convenable pour le public canadien.

Les journalistes, quels qu'ils soient, devraient être libres et indépendants. Ils ne devraient avoir qu'une seule obligation: agir comme chiens de garde, notamment vis-à-vis du pouvoir en place. Ils ne devraient surtout pas avoir à «aider» un gouvernement qui, en revanche, semble tout faire en son pouvoir pour leur nuire.