Notre télévision est-elle frileuse en humour? La question s'est posée de nouveau lorsque Télé-Québec a décidé récemment de ne pas renouveler le faux bulletin de nouvelles des Justiciers masqués, Le canal masqué.

J'ai écrit sur le sujet, il y a une semaine. Pas précisément sur Les Justiciers masqués, qui se sont plaints de l'interventionnisme de tout un chacun dans leurs textes et leurs sketchs, mais sur ce sentiment, partagé par d'autres humoristes et scripteurs, que la marge de manoeuvre est de moins en moins grande en humour à la télévision québécoise.

Y a-t-il toujours de la place pour l'humour décapant à la télévision? Ne restera-t-il bientôt que des émissions consensuelles en ondes? Notre télé se fait-elle trop uniforme et aseptisée?

J'ai posé ces questions en fin de chronique. Les réactions ont été vives du côté des auteurs et humoristes. Oui, répondent-ils en choeur, il y a un mouvement d'aplanissement des contenus comiques. En particulier à la télévision publique, traditionnellement la plus audacieuse.

«Radio-Canada est devenue beaucoup trop prudente, me dit un auteur. Et pour une bourde ou deux du type Nathalie Simard (blagues de mauvais goût au Bye Bye 2008), on a décidé que tout serait politically correct. Tout est lu, relu par tout ce qui a des yeux, du moindre postproducteur jusqu'à la haute direction.»

Un autre scripteur se plaint du nombre insuffisant de lecteurs efficaces dans les postes-clés des grands réseaux, ainsi que de leur manque d'autocritique. «C'est comme si, dans la hiérarchie, on donnait des postes importants à des gens qui ne sont pas toujours outillés pour interagir avec des auteurs. Nous sommes habitués à retravailler nos textes, 20 fois plutôt qu'une. On le fait de bonne foi. Mais il faut savoir, au départ, ce que l'on veut. Bien des décideurs sont incapables d'accepter la moindre critique. Tu leur fais une remarque et tu n'as plus de job!»

C'est sans doute ce qui explique qu'aucun humoriste ou auteur à qui j'ai parlé pour cette chronique n'ait consenti à être identifié. On ne mord pas la main qui nous nourrit, surtout dans un milieu où l'on est facilement reconnu, semble-t-il.

«On nous approche pour notre humour, pour le type d'humour que l'on fait, mais après que tout le monde soit repassé sur nos textes, on ne les reconnaît plus, on a gommé leurs particularités, constate un humoriste. C'est ce qui est le plus désolant: le manque de confiance. On t'embauche en sachant pertinemment à quel public tu t'adresses, puis on te vire parce que tu n'as pas réussi à rejoindre un plus large public. On ne peut pas plaire à tout le monde. Ce n'est pas pour rien que l'humour semble dilué à la télé. Il l'est!»

Il y a bien sûr des exceptions confirmant la règle. Un Marc Labrèche qui, fort d'un noyau de fidèles admirateurs, a droit à une sorte «d'immunité» en humour - dont il se sert à merveille, en repoussant chaque fois les limites. Mais de façon générale, pour les auteurs qui m'ont contacté, le contenu des émissions humoristiques québécoises est beaucoup trop édulcoré.

Tous constatent par ailleurs que, dans un contexte où l'on ose moins, il est particulièrement ingrat pour des humoristes de faire leur place à la télévision. «Il y a tellement de variables qui ne sont pas du ressort de l'artiste, m'explique un auteur. Tellement d'interventions, à la fois de la part du producteur, du diffuseur et du contentieux, qu'il est facile de se casser la gueule. En même temps, une émission de télé, c'est souvent une offre qui ne se refuse pas.»

Si la télévision publique, et en particulier Radio-Canada, est montrée du doigt, les réseaux privés ne sont pas épargnés par ces auteurs et humoristes, qui regrettent une époque, pas si lointaine, où l'on encourageait plus volontiers l'audace et l'originalité. Des émissions comme Taxi 0-22 ou Un gars le soir, qui se permettent plusieurs libertés, font figure d'exceptions dans un contexte où l'ironie et l'irrévérence n'ont plus la cote.

«Tant qu'on s'en tient à la vulgarité, il n'y a pas de problème. Mais ne parle pas des commanditaires ou des amis de la station. Ça ne fonctionnera pas, constate un auteur. On m'a censuré un numéro dans lequel je dénonçais le sexisme. La raison invoquée par les avocats du diffuseur? Que le numéro était sexiste... Faut vraiment rien vouloir comprendre!»

Oui, notre télévision est frileuse, disent bien des gens qui la fabriquent. Si frileuse qu'elle ne tolérerait pas que l'on dénonce sa frilosité à visage découvert. C'est tout dire.

M'est avis qu'en plus d'une réelle tendance à la rectitude politique, notre télévision est aussi victime de l'image de proximité qu'elle tient à projeter. Engoncée dans le carcan d'une forme de clientélisme nouveau genre, qui veut que le téléspectateur, en toutes circonstances, soit roi.

En humour, les diffuseurs en sont à tenter de prévenir la possible réaction défavorable d'un auditoire. En ayant, oui, peur d'avoir peur. En conséquence, l'étau se resserre de plus en plus sur l'auteur, à qui l'on impose une obligation de plaire, si possible, au plus grand nombre. Ce qui inclut, faut-il le rappeler, les commanditaires, publicitaires et autres partenaires d'affaires.

Au détriment de quoi? D'une liberté et d'une vérité. Dans la parole et la dénonciation. Au détriment aussi d'un humour signifiant. L'expression a été galvaudée, c'est un réel cliché, mais ce qu'il y a de plus drôle, c'est ce qui est vrai. L'humour, il me semble, ne devrait pas souffrir de prismes déformants visant à préserver les apparences.