On aimerait pouvoir dire qu'on est surpris. On n'est pas surpris.

À l'été 2008, le gouvernement fédéral a aboli en douce quantité de programmes d'aide aux artistes et aux organisations culturelles. Sans consulter quiconque, le gouvernement Harper a mis un terme aux programmes PromArt et Routes commerciales, dotés de budgets de 3,3 et 2,1 millions de dollars et destinés à encourager le rayonnement des artistes canadiens à l'étranger.

Tous les observateurs ont fait le même constat à l'époque: cette décision d'Ottawa aura pour conséquence de mettre en péril des centaines de représentations de spectacles canadiens (en grande partie québécois) à l'étranger, en faisant perdre plusieurs millions de dollars aux entreprises culturelles qui tentent d'exporter leur art.

Deux ans plus tard, alors qu'il avait promis de compenser ces pertes de subventions grâce à de nouveaux programmes «plus efficaces», le gouvernement conservateur n'a toujours rien fait pour redresser la barre. On n'est pas davantage surpris.

Les conséquences, on s'en doutait, sont désastreuses. En décembre 2008, la Conférence internationale des arts de la scène (CINARS) avait pourtant sonné l'alarme. Le gouvernement Harper - du sable bitumineux plein les oreilles? - n'a rien entendu. Hier, CINARS a dévoilé le résultat d'une étude sur l'impact des compressions budgétaires fédérales de 2008 sur les activités internationales des artistes canadiens.

Un vaste sondage mené auprès de 291 compagnies artistiques du pays confirme que l'abolition de PromArt et Routes commerciales a eu un «effet dévastateur», entraînant directement l'annulation de plus de 175 tournées internationales et une perte de revenus de 15,8 millions de dollars. La situation serait encore plus critique si le gouvernement du Québec n'avait pas dégagé 3 millions de dollars par année pour compenser en partie les suppressions de programmes.

Les résultats statistiques présentés hier, selon les experts consultés, restent «conservateurs», affirme d'ailleurs le président-directeur général de CINARS, Alain Paré. Sans mauvais jeu de mots...

Car au-delà de l'impact comptable direct et de la menace à la survie de certaines compagnies, il y a un effet domino insidieux, difficilement chiffrable, à ces coupes. Un «cercle vicieux» qui, selon Alain Paré, pousse les compagnies artistiques à réduire leurs activités internationales, leur visibilité, comme leur rôle d'ambassadeurs à l'étranger, et a pour conséquence d'affaiblir la réputation internationale du Canada dans le monde culturel.

Ce sont les très réputés Grands Ballets canadiens qui feront l'ouverture du prochain rassemblement de CINARS, qui se déroulera du 15 au 21 novembre à Montréal. Drôle de paradoxe. D'ordinaire, les GBC ne sont pas disponibles en novembre, en raison de leurs tournées internationales. Cette année, la tournée d'automne a dû être annulée en raison des coupes fédérales. Le ballet Léonce et Léna, inspiré de la comédie satirique de Georg Büchner, est «une critique de l'absolutisme du gouvernement de l'époque», a expliqué hier le directeur général des GBC, Alain Dancyger. «Certains pourraient faire certains rapprochements», a-t-il dit. En effet.

Il ne faudrait pas oublier que l'élimination des programmes PromArt et Routes commerciales, décrits comme inefficaces et trop coûteux par le gouvernement Harper, n'a pas que des fondements économiques. Certaines subventions ont clairement été retirées pour des motifs idéologiques, le gouvernement conservateur estimant qu'il lui incombait de déterminer ce qu'il est convenable ou non de soutenir financièrement, selon ses propres critères moraux. Le groupe rock Holy Fuck l'a appris à ses dépens.

Non seulement le gouvernement Harper n'a rien fait pour endiguer la chute dramatique, et éminemment prévisible, des revenus des compagnies artistiques à l'étranger, précarisant une partie de l'industrie des arts de la scène, mais il a refusé jusqu'à ce jour d'en discuter avec les principaux intéressés. Les négociations pour une nouvelle forme de soutien aux tournées à l'étranger sont au point mort.

Personne ne semble en outre savoir ce qu'il advient des 25 millions de dollars que le ministre du Patrimoine James Moore avait promis dans la foulée de la contestation de l'automne 2008 pour la création des controversés «Prix du Canada». Une somme ironiquement destinée à récompenser des artistes étrangers, dont disposerait le Conseil des arts du Canada, qu'Alain Paré verrait bien servir à soutenir les tournées internationales d'artistes canadiens.

«On ne demande pas la charité», a dit le PDG de CINARS, en précisant que les programmes fédéraux servent essentiellement à compléter des budgets. Pas la charité, seulement un coup de pouce, essentiel à la diffusion de la culture canadienne et québécoise dans le monde. Le même coup de pouce, souligne Alain Paré, qui a permis au Cirque du Soleil de s'établir comme multinationale et à un artiste tel Robert Lepage de devenir incontournable à l'échelle planétaire.

Une aide au rayonnement international de la culture québécoise et canadienne, de la part d'un gouvernement qui a fait la preuve de son mépris du droit international, de l'institution internationale qu'est l'ONU - à laquelle Stephen Harper a préféré un beigne chez Tim Hortons - et des conventions internationales en matière d'environnement? Mettons qu'on serait surpris.