Non seulement Marc Bellemare a eu tort de participer à l'émission Tout le monde en parle, dimanche dernier, mais Radio-Canada n'aurait pas dû l'y inviter, selon René Villemure, président de l'Institut québécois d'éthique appliquée.

La commission Bastarache, en sérieux manque de crédibilité, a récemment rappelé aux parties impliquées de réserver leurs déclarations pour ses audiences. Aussi, écrivait hier René Villemure dans nos pages Forum, si la participation de Marc Bellemare à Tout le monde en parle était légale, elle «représentait une certaine faute éthique».

L'éthicien est beaucoup plus sévère à l'égard de Radio-Canada: «En ne recherchant que le sensationnalisme à tout prix et en n'ayant aucune forme de considération pour la justice ni pour l'apparence de justice, la SRC a décidé que c'était elle qui menait le monde.»

Si je comprends l'indignation de René Villemure, j'ai l'impression qu'il ménage la chèvre pour mieux planter le chou.

Marc Bellemare, après avoir refusé de participer à la première de la saison de Tout le monde en parle, a accepté de se prêter au jeu de ce grand tribunal populaire la semaine dernière. La direction de Radio-Canada en a été avertie, comme elle est du reste informée tous les mercredis des invités de Guy A. Lepage. (Jean Charest a décliné cette semaine l'invitation de Tout le monde en parle.)

L'animateur se défend d'avoir manqué d'éthique en invitant Me Bellemare sur son plateau. «Si Marc Bellemare avait accepté de donner une entrevue au Téléjournal, aux nouvelles de TVA, de RDI ou de LCN, personne n'aurait refusé de l'accueillir», dit Guy A. Lepage. Il a sans doute raison.

Peut-on reprocher à une émission qui se nomme Tout le monde en parle d'inviter un ex-politicien dont tout le monde parle? À mon sens, René Villemure fait preuve d'un certain jansénisme en tirant à boulets rouges sur Radio-Canada. Ce qui ne se résume pas à dire que ses préoccupations ne sont pas valables.

Comme M. Villemure et bien d'autres, j'estime que Marc Bellemare aurait intérêt à démontrer une certaine réserve, sinon une plus grande considération pour la commission Bastarache. On aura beau, comme lui, trouver à cette commission des airs de cirque, Me Bellemare, qui ne peut plaider l'ignorance, ne devrait pas en rajouter au rayon des numéros de clown.

On comprend René Villemure de s'indigner de voir une commission d'enquête en quelque sorte discréditée par la participation parallèle de l'une de ses parties à une émission de variétés de la télévision publique. On comprend aussi Tout le monde en parle d'avoir invité un personnage incontournable de l'actualité. Comme on comprend Marc Bellemare de se servir d'une tribune médiatique aussi formidable pour mener son opération de relations publiques.

L'entrevue que Me Bellemare a accordée à Guy A. Lepage, sans grande surprise dans le contexte, servait aussi bien l'interviewé que l'intervieweur, que l'on a connu beaucoup plus complaisant en d'autres occasions (au point de pratiquement confondre Phil Collins avec le Mahatma Ghandi). Elle servait également le diffuseur, qui a profité du passage à son antenne de l'ex-ministre Bellemare pour meubler son bulletin d'informations de fin de soirée.

A-t-elle servi le public? «On dit que les citoyens deviennent de plus en plus cyniques face à la chose politique, écrit René Villemure. Des diffusions déplacées comme celle de dimanche soir ne peuvent qu'alimenter ce cynisme et contribuer au désintéressement des citoyens.»

Guy A. Lepage, au contraire, croit que cette entrevue, vue par quelque 1,5 million de personnes, a offert un nouvel éclairage sur la commission Bastarache à bien des gens qui ne s'y intéressaient pas jusque-là. L'animateur a l'impression, peut-être présomptueuse, d'avoir fait oeuvre utile, d'autant plus que les multiples interventions des avocats empêchent parfois, à son avis, la commission Bastarache d'aller au fond des choses.

«Je pense que l'entrevue permettait de se faire une bonne idée de qui est Marc Bellemare, l'individu, dit-il. Et de se demander: Est-ce que je le crois ou pas? Mon avis est assez clair depuis.»

Guy A. Lepage, qui précise avoir reçu beaucoup de félicitations pour cette entrevue, défend le choix de Marc Bellemare d'avoir accepté son invitation. «Un politicien doit rendre des comptes et répondre aux questions pointues des journalistes, croit-il. Je ne suis pas journaliste. Je pose des questions plus générales pour ne pas confondre les téléspectateurs. Marc Bellemare n'est pas un élu. C'est un citoyen qui a son «propre agenda», pour utiliser un jeu de mots poche. Il peut très bien venir à Tout le monde en parle sans avoir à accepter une invitation de Céline Galipeau ou de Sophie Thibault.»

Il reste qu'une entrevue, même la plus serrée et la plus embarrassante, ne peut se substituer à une commission d'enquête. Si elle a été profitable pour plusieurs, l'entrevue de Marc Bellemare à Tout le monde en parle n'aura certainement pas permis de redorer le blason de la commission Bastarache. Peu importe qui a manqué d'éthique...