Un clown triste accueille le public au Théâtre de La Chapelle, depuis mardi. Triste est un euphémisme. Kim Noble, l'artiste multidisciplinaire en résidence jusqu'au 24 juillet, rue Saint-Dominique, dans le cadre de l'événement Zoofest, souffre de maniaco-dépression. Et il s'en moque autant qu'il le peut dans Kim Noble Will Die, brillant spectacle tragicomique repoussant les limites de l'humour, du public et du bon goût.

Provocation multimédiatique alliant vidéo expérimentale, performance artistique, stand-up comique et carnet intime, Kim Noble Will Die est le one-man show ingénieux d'un exhibitionniste tordu - rien de son anatomie n'est laissé à l'imagination - prenant ses spectateurs en otages, le temps d'une heure compacte d'autodérision, de malaises, d'humour noir et de sécrétions corporelles en tous genres. Âmes sensibles s'abstenir.

«Je ne veux pas faire des spectacles faciles pour le public, dit ce grand rouquin timide en entrevue dans un café du boulevard Saint-Laurent. J'aime confronter les gens. Mais je suis aussi là pour les divertir!»

Mission accomplie. Entre l'autoflagellation et l'automutilation, les séquences d'animation trash et la musique d'Air Supply, les gags à la Jackass ou à la Borat (à la puissance dix), les réflexions caustiques sur la vie et la célébrité, le burlesque absurde et l'évocation de méthodes suicidaires, j'ai ri souvent. Tout en sachant que la noirceur humaine que décrit avec acuité Kim Noble est réelle (c'est la sienne).

Jeune artiste londonien célébré par la critique au début de la dernière décennie, Noble a séjourné en 2004 dans un hôpital psychiatrique. Il a mis cinq ans à concevoir ce nouveau spectacle, sorte de journal intime multimédia d'un bipolaire suicidaire. À sa première, il y a un peu plus d'un an à Londres, il a d'ailleurs menacé de se suicider. «Je n'avais pas l'intention de faire d'autres représentations, dit-il en riant. Je ne suis toujours pas vraiment à l'aise de faire ce spectacle.»

Un spectacle, insiste-t-il, qui n'a rien d'une catharsis ni d'une thérapie. «Ce n'était pas l'objectif au départ. J'étais dans une période très sombre. Je filmais et j'enregistrais toutes sortes de choses. J'imagine que d'une certaine façon, c'était une réaction à ce que je vivais, un exutoire. Je me suis retrouvé avec tout ce matériel, et je me suis dit qu'il y avait peut-être là matière à un spectacle, un film ou une expo.»

Parmi ces enregistrements se trouvait celui, troublant, de la rupture de Noble avec une ancienne copine. Entendre Noble, désespéré, pleurer au téléphone en apprenant de la bouche de sa blonde qu'elle l'a quitté pour son ami producteur, résume le ton doux-amer de ce spectacle constamment sur le fil du rasoir. Une mise à nu complète, au propre comme au figuré...

Dans ses «drôles de vidéo», Noble se fait aussi uriner dessus, vomit, et laisse «un peu de lui-même» dans plusieurs contenants disséminés dans différents commerces, notamment dans le frigo d'un IGA de Montréal. Vulgaire (certainement) et jouissif (littéralement).

Kim Noble, il ne s'en cache pas, est un exhibitionniste. «Absolument, dit-il. Mais je ne crois pas que j'aime choquer pour le seul plaisir de choquer. J'aime surtout provoquer des réactions.»

Les réactions ont été multiples, notamment dans la presse britannique, où plusieurs ont crié au génie et d'autres, à la masturbation intellectuelle (elle est ici d'un tout autre ordre). Kim Noble s'est par ailleurs aliéné famille et amis, décontenancés par la dureté de son propos. Son ex-fiancée menace de le poursuivre pour l'utilisation de son image (quelle image...), et sa mère, qui a participé au spectacle en enregistrant des capsules vidéo, «n'est pas du tout satisfaite du résultat». «C'est difficile pour elle d'en entendre parler, mais c'est la vie! Désolé, maman!»

Il faut dire que depuis sa création, en avril 2009, Kim Noble Will Die a pris une tangente de plus en plus dramatique, nourri par les drames de la vie de son auteur (une amie s'est suicidée, sa nouvelle blonde l'a quitté après avoir fait une fausse couche...). «Je me réveille la plupart des jours en souhaitant ne plus être en vie», dit-il sur scène, sur le ton grave de la confidence à prendre au sérieux.

Ma question, dans les circonstances, n'est pas banale: comment ça va? «Ça dépend des jours, dit-il. C'est cyclique. Les choses sont moins sombres qu'à l'époque où j'étais à l'hôpital. Je prends des médicaments. Mais malheureusement, c'est ce que je suis: je n'aime pas tellement la vie. C'est un spectacle sur la solitude et je me sens souvent très seul. Même si ça semble cliché dans la bouche d'un artiste: je crains l'angoisse existentielle, de me sentir seul au monde. Avant de venir à Montréal, j'étais déprimé. Un ami m'a dit: Tant mieux, il ne faut pas que tu sois heureux quand tu fais ton spectacle!»

Il rit de bon coeur, d'un rire contagieux.

Photo: Robert Skinner, La Presse

Kim Noble Will Die, c'est une heure compacte d'autodérision, de malaises, d'humour noir et de sécrétions corporelles en tous genres.