Jimi Hendrix brûlant sa guitare à Monterey, John Lennon portant son fameux t-shirt de New York, Elvis Presley, le bras en l'air, le talon relevé, agrippant son micro de chrome. Le musée de Brooklyn affiche depuis deux semaines quelques-unes des plus célèbres photos de l'histoire du rock. L'expo itinérante Who Shot Rock & Roll, qui retrace l'histoire de la photographie rock de 1955 à nos jours, s'installe à New York jusqu'au 31 janvier 2010, avant de parcourir les États-Unis.

Parmi les clichés réalisés par certains des plus grands photographes rock de l'histoire (Richard Avedon, Ed Caraeff, Mark Seliger...) se trouve une photo de M.I.A., dans sa roulotte, cigarette et verre à la main, vêtements éparpillés, bouteille de rhum et restant de lunch en arrière-plan, prête à bondir du sofa après un concert donné au Festival Osheaga, en 2007.

L'image, carrée, monochrome, intrigante, est signée Valérie Jodoin-Keaton. La jeune Montréalaise est la seule Canadienne parmi une centaine de photographes à avoir été retenue par la commissaire et historienne de la photographie Gail Buckland pour la manifestation Who Shot Rock & Roll, dont on vient de tirer un livre aux éditions Alfred A. Knopf.

Cette photo de M.I.A. fait aussi partie de la cinquantaine de clichés de Backstage, premier ouvrage de Valérie Jodoin-Keaton, préfacé par Daniel Bélanger, à paraître le 20 novembre aux éditions Varia. La photographe et musicienne, ex-membre du groupe montréalais The Dears, a profité de sa présence dans différents festivals internationaux ces dernières années pour s'infiltrer dans les coulisses et croquer des artistes juste avant ou après leur spectacle.

Ces images de «l'instant d'avant» et de «l'instant d'après», captées sur le vif grâce à un appareil Hasselblad des années 70, composent une collection fort intéressante de moments intimes volés à certains des musiciens rock les plus pertinents de l'heure: Jack White, Cat Power, The Roots, Patrick Watson, Blonde Redhead, Smashing Pumpkins, The Strokes, Beastie Boys, Feist, Beck, Bloc Party, Dumas, The Killers, Gogol Bordello, Arthur H., Ariane Moffatt, Rufus Wainwright, The Flaming Lips, etc.

Impressionnante brochette témoignant de l'inclination naturelle de Valérie Jodoin-Keaton pour le rock indépendant. «J'ai choisi des artistes intègres, originaux, respectés par leurs pairs», dit la portraitiste, qui a ajouté en annexe de son livre une liste de chansons de ses sujets photographiques.

Original par son thème et sa forme, Backstage propose un point de vue privilégié sur l'envers des shows de rock. Valérie Jodoin-Keaton y détaille comme dans un journal de bord ses rencontres, pour la plupart impromptues, avec les artistes, et raconte en filigrane sa propre expérience dans les coulisses avec les Dears, l'un des chefs de file du Montreal Sound, au début de la décennie.

La photographe, également claviériste, flûtiste et choriste (notamment pour Malajube), fait désormais partie du collectif For Those About To Love..., composé entre autres d'anciens Dears, dont son mari Martin Pelland. Le groupe vient de faire paraître un premier disque éponyme.

Maman dans la jeune trentaine d'un garçon d'un an, Valérie Jodoin-Keaton a planché près de quatre ans sur son projet photographique. «Ça n'a pas toujours été facile, dit-elle. La plupart du temps, je n'avais que quelques secondes pour faire ma photo, et seulement deux ou trois prises. Parfois, certains me prenaient pour une groupie et se demandaient ce que je faisais là avec mon vieil appareil. C'était dur pour l'ego!»

Il a fallu, plusieurs fois, être tenace pour obtenir la photo espérée. Thomas Fersen, ne sachant pas ce que la photographe lui voulait, s'est enfermé dans sa loge après un spectacle aux FrancoFolies.

«J'ai attendu longtemps. Il a fini par m'ouvrir la porte. Je lui ai envoyé la photo, mais je n'ai pas eu de nouvelles pendant des mois. Puis j'ai appris qu'il voulait acheter la photo pour la pochette de son album Gratte-moi la puce», dit celle qui a aussi signé la pochette du dernier disque de Mara Tremblay. Ce contrat avec Thomas Fersen a permis de payer les trois quarts des coûts de réalisation (achat d'appareil, de pellicule, etc.) du projet.

C'est cette même ténacité qui a permis à Valérie Jodoin-Keaton de photographier, à seulement deux jours d'avis, Paul McCartney sur scène lors de son passage au Festival de Québec, l'an dernier.

«J'ai pris une chance. J'ai contacté son imprésario. Il a vu mes photos, et je crois qu'elles lui ont rappelé celles de Linda McCartney, qui utilisait le même appareil que moi à l'époque. J'ai reçu une invitation. La pression était énorme: avec un vieux Blad, sans flash, on n'a pas le loisir de se tromper comme avec du numérique. Ce fut magique. J'imagine qu'il a aimé ça. Il m'a réinvitée à faire ses photos l'été dernier à Halifax.»

Une photo de Macca avec sa basse Hofner, dans les coulisses, se trouve évidemment dans Backstage, album de rituels où, petit joint à la main ou en position du lotus (Jorane, en couverture), les musiciens livrent une parcelle de leur intimité. Plus de 120 artistes ont été photographiés pour ce projet. Moins de la moitié se trouvent dans le livre, inspiré notamment par l'oeuvre de la photographe Mary Ellen Mark et la photo rock des années 60 et 70.

Avant même sa publication au Québec, Valérie Jodoin-Keaton attire l'attention de maisons d'édition américaines. Backstage pourrait connaître une seconde vie aux États-Unis. «J'aimerais poursuivre le projet, en approchant par exemple Bob Dylan ou Bruce Springsteen cette année», dit la photographe. Parions qu'à leur tour, ils ne sauront lui résister.

 

Photo: Valérie Jodoin-Keaton

Voici le cliché qui a retenu l'attention de la commissaire et historienne de la photographie Gail Buckland pour l'exposition itinérante Who Shot Rock & Roll. Valérie Jodoin-Keaton a saisi M.I.A., dans sa roulotte, cigarette et verre à la main, vêtements éparpillés, bouteille de rhum et restant de lunch en arrière-plan, prête à bondir du sofa après un concert donné au Festival Osheaga, en 2007.