Faut-il davantage considérer la popularité des oeuvres dans les galas consacrés à l'excellence artistique? Je pose la question régulièrement, le métier de chroniqueur nous obligeant à nous répéter constamment.

Pierre Marchand, ex-patron de Musique Plus, croit que oui. C'est ce qu'il a confié à mon collègue Alain Brunet. M. Marchand, président d'Archambault Musique, propriété de Quebecor, envisage sérieusement la création d'un gala concurrent à celui de l'ADISQ. Selon lui, la grand-messe musicale québécoise, qui se tiendra dimanche, ne tient pas assez compte des choix du public et ne reflète pas bien ses goûts.

Pierre Marchand parle d'un «gala Artis de la musique» depuis que Musicor, la filiale musicale de Quebecor qu'il dirige, s'est retirée de l'ADISQ à la fin août. Victimes collatérales du conflit, tous les artistes du label, les Marie-Mai, Marie-Élaine Thibert, Florence K., Zachary Richard, Renée Martel, Stéphanie Lapointe et autres chanteurs de Star Académie, pourraient ne pas être candidats aux prix Félix en 2010.

Pierre Marchand y voit une aberration, et rejette le blâme sur l'ADISQ. J'y vois plutôt une nouvelle illustration puérile de l'arrogance de Quebecor en matière de galas télévisés. «Vous ne voulez pas vous plier à nos désidératas? Vous ferez sans nous.» Voyons, ça me rappelle quelque chose...

Quebecor n'a pas à organiser un nouveau concours de chant télévisé: il est déjà le champion toutes catégories du chantage télévisuel. C'est ainsi que TVA boycotte depuis des années le gala des Gémeaux sous prétexte que ses émissions ne reçoivent pas, selon ses dirigeants, assez de prix. Pourquoi remettre le prochain prix Gémeaux de la meilleure série dramatique à l'excellente Aveux alors que Yamaska fait pratiquement le double de cotes d'écoute?

Cette logique tordue de la primauté du choix populaire, dont le porte-étendard télévisuel est Julie Snyder, est aujourd'hui appliquée à la virgule près au milieu de la musique par Pierre Marchand (qui oublie sans doute que Marie-Mai a remporté en 2008 le Félix de l'album rock de l'année). Il y a des virus extrêmement contagieux chez Quebecor, semble-t-il, et pas de campagne de vaccination en vue.

Je l'ai déjà écrit; je le répète: il en va de la crédibilité des galas de ne pas céder à la pression du dogme populaire. Transformers 2 ne remportera pas le prochain Oscar du meilleur film, malgré 400 millions de dollars au box-office nord-américain. A-t-on besoin d'en expliquer les raisons? Pourquoi en serait-il autrement avec la télé, la musique, ou le cinéma québécois?

Le box-office, la cote d'écoute, les ventes de disques récompensent la popularité des oeuvres. Les prix, les galas, les festivals, soulignent leur qualité. À l'état de grâce, popularité et qualité vont de pair. Ce n'est pas toujours le cas. Ça semble clair. Ce ne l'est pas pour tout le monde. Lundi, Francine Ruel ne remportera pas le Goncourt. Les gens de Quebecor peuvent déjà commencer à s'en offusquer.

La forme de MJ

Le dernier tour de piste de Michael Jackson s'annonçait particulièrement grandiloquent, à l'image de ses délires mégalomanes. C'est ce que je retiens le plus de This Is It, film-hommage à l'auteur de Thriller, mort le 25 juin, quelques jours avant le début d'une série de 50 spectacles qu'il devait donner à guichets fermés à Londres.

Accès privilégié, parce que posthume, dans les coulisses de «l'ultime spectacle» de Michael Jackson, absent de la scène depuis plus de 10 ans.

This Is It donne un bon aperçu de ce qu'aurait été ce spectacle. Réglé au quart de tour, sans place à l'improvisation, avec force effets visuels: une armée de danseurs virtuels sur écran géant pour Bad, l'intégration du chanteur à un classique du film noir hollywoodien pour Smooth Criminal, de nouvelles scènes, tournées en 3D, pour Thriller.

Le film de Kenny Ortega présente Michael Jackson dans une forme étonnante, à quelques jours de sa mort. Sa voix est intacte (Human Nature, entre autres) et il danse avec un tonus et une fluidité incroyables pour un gars de 50 ans qui passe ses nuits sous anesthésie générale. D'une maigreur cadavérique, défiguré par la chirurgie esthétique, on croirait cependant par moments voir à l'écran l'étrange M. Jack de A Nightmare Before Christmas.

Le regard que porte Kenny Ortega, le directeur artistique du spectacle, sur son ami, est forcément complaisant. La chose est entendue. L'image présentée de Michael Jackson reste lisse, sans grandes aspérités. On ne sent qu'une seule fois chez lui une légère irritation, pendant le classique des Jackson 5, Want You Back. L'artiste est exigeant, pointilleux, mais extrêmement courtois avec son entourage.

Réalisé à partir d'images tournées en répétition, ce document ne passera pas à l'histoire pour ses qualités cinématographiques. Il reste fort pertinent pour les fans de Michael Jackson, qui apprécieront la maestria des danseurs et des musiciens (en particulier la guitariste Oriantha Pangaris). Les autres - j'en suis - seront peut-être agacés par les sonorités «synthés des années 80», les solos de guitare figés dans le temps (sus au fingertapping!) et les arrangements défraîchis de certaines pièces. Le répertoire de Michael Jackson, il faut le dire, a peu évolué depuis le milieu des années 80.

Le discours simpliste, bienveillant et légèrement halluciné de Michael Jackson sur la paix et l'environnement en irritera certainement d'autres. «J'aime les arbres, je respecte ces choses-là», dit MJ, en se prenant à la fois pour mère Teresa, Nelson Mandela et Barack Obama. On préfère de loin se souvenir du danseur survolté qui chantait Wanna Be Starting Something.