Le cinéaste Roman Polanski a 76 ans. Il vit en exil depuis plus de 30 ans. Samantha Geimer, l'adolescente qu'il a violée en 1976, maintenant mère de trois enfants, lui a pardonné publiquement son crime répugnant. Son exclusion de Hollywood pendant toutes ces années, croit-elle, constitue une peine suffisante.

Ce n'est pas l'avis des autorités américaines. Roman Polanski, dont la carrière a périclité dans les années 80, habite à Paris. Il voyage et tourne en Europe depuis des années sans être inquiété, mais il n'a jamais remis les pieds aux États-Unis, où il est toujours visé par un mandat d'arrêt lancé contre lui à l'époque.À la demande du procureur général de Los Angeles, Polanski a été emprisonné ce week-end par la police suisse, à son arrivée à l'aéroport de Zurich. Le festival de cinéma de cette ville devait lui rendre hommage samedi. Il risque d'être extradé aux États-Unis dans les 40 jours.

Les réactions à l'arrestation du réalisateur de Chinatown et de Rosemary's Baby ont été promptes et vives, en Europe comme aux États-Unis. La presse suisse, qui s'est inquiétée des répercussions de cet incident sur la réputation internationale de son pays, a établi des liens entre la collaboration efficace de la Suisse avec les autorités américaines et les récents déboires de la banque helvète UBS, contrainte de livrer à Washington les noms de 4450 clients américains soupçonnés d'évasion fiscale.

«Difficile de ne pas faire de rapprochement entre l'affaire UBS et l'arrestation-surprise de Roman Polanski. La Suisse a-t-elle voulu faire plaisir aux États-Unis au risque d'un excès de zèle qui n'améliore guère son image de marque à l'étranger?» demandait hier le quotidien Le Matin. «Pouvait-on manquer à ce point de sensibilité pour ne pas anticiper le tollé que cette arrestation allait provoquer et les dégâts d'image qu'elle ne manquerait pas d'entraîner?» demande aussi Le Temps.

La presse américaine s'est aussi questionnée sur la pertinence de cette arrestation. «À l'heure où la Californie met à mal la protection sociale des populations démunies et au chômage, sans parler des coupes dans le budget de l'éducation, on pourrait espérer que la justice ait mieux à faire que de susciter une polémique internationale en interpellant un réalisateur pour une affaire qui remonte à 32 ans, surtout quand on sait que la victime ne souhaite plus parler de cette histoire», a estimé le chroniqueur du Los Angeles Times Patrick Goldstein.

Le viol d'une jeune fille de 13 ans n'est pas une mince affaire. L'agression sexuelle de mineurs ne saurait d'aucune façon être banalisée. Je ne sais rien des tractations des banques suisses avec Washington ni du déclin de la protection sociale en Californie. Ce que je sais, en revanche, et ce en quoi je crois fermement, c'est qu'un festival de films devrait être un lieu protégé, au même titre que l'enceinte d'une église. Tous, peu importe ce qu'on leur reproche, devraient sans crainte pouvoir s'y retrouver, les cinéastes de réputation internationale comme les autres.

Ce que je sais aussi, c'est que la tradition d'asile du festival de film, de tous les festivals de cinéma, vient d'être rompue ce week-end en Suisse. Dans les circonstances, la communauté cinématographique internationale a eu raison de dénoncer l'arrestation de Polanski et de déplorer qu'une manifestation culturelle soit transformée en «traquenard policier».

«Forts de leur extraterritorialité, les festivals de cinéma du monde entier ont toujours permis aux oeuvres d'être montrées et de circuler et aux cinéastes de les présenter librement et en toute sécurité, même quand certains États voulaient s'y opposer», affirment quelque 70 signataires d'une pétition qui circule depuis dimanche, dont les cinéastes Michael Mann, Julian Schnabel, Pedro Almodóvar, Ursula Meier, Fanny Ardant, Alejandro Gonzalez Inarritu, Wong Kar Waï, Walter Salles et Bertrand Tavernier.

Je le répète, le viol est un crime odieux. Le viol d'un mineur est inqualifiable. Ce n'est pas de ça qu'il est question dans cette chronique. Trouver inadmissible qu'un festival de films serve de guet-apens à une opération policière n'est pas un cautionnement d'un acte criminel, quel qu'il soit.

L'arrestation de Roman Polanski à Zurich témoigne d'une dérive importante, d'un accroc inquiétant à la liberté d'expression, dont on mesure mal les répercussions. C'est aussi une honte pour la Suisse, pays d'une proverbiale neutralité qui a agi en État-délateur.