Son sac à dos fait la moitié de sa taille. On croirait qu'il part escalader l'Everest. C'est un peu ça. Il est entré à l'école. Mon plus vieux. À la maternelle. C'était hier sa première «vraie» journée.

Je l'ai laissé devant la porte d'entrée, refoulant une envie, soudaine et instinctive, de le raccompagner jusqu'à sa classe. Tu n'oublies pas de déposer tes souliers de course dans ton casier. Oui, papa. Et tes vêtements de rechange. Oui, papa. Et ta boîte à lunch. Papaaaa!

Je me suis revu à sa place. Au premier jour. Sans repères, face à l'inconnu, dans mon jumpsuit en velours brun, un sac «Québec» en cuirette bleue à la main. Après l'avoir déposé, je suis allé voir 1981 de Ricardo Trogi, qui prend l'affiche vendredi. Pendant 102 minutes, j'ai retrouvé mes 8 ans.

En 1981, j'arrivais dans une nouvelle école après un déménagement en banlieue. Les cercles d'amis étaient déjà formés, les plus baveux accueillaient d'un oeil malicieux de nouvelles victimes potentielles. Je rêvais d'une montre-calculatrice du catalogue Distribution aux consommateurs, d'un bâton de Wayne Gretzky, d'un motocross avec faux réservoir en plastique rouge et d'un K-Way bleu. Certains avaient un mal fou à prononcer mon nom italien (on dit CaSSivi, pas CaZivi).

Exactement comme le petit Ricardo du troisième long métrage, à forte teneur autobiographique, de Trogi (on dit TroDGi, pas TroGUi). À l'exception près que la première de classe pour qui il avait le béguin se prénommait Anne. Moi, c'était Annie.

Vous dire comme je me suis reconnu dans cette chronique initiatique douce-amère, tendre et attachante, juste quoique anecdotique et forcément moins caustique que les précédents Québec-Montréal et Horloge biologique.

Et pas seulement grâce aux cols roulés blancs sous les chandails en coton ouaté, les sacs à jus de Perrette que l'on aimait faire éclater, ou les références à Candy, la larme vacillante à l'oeil, à laquelle on préférait de loin Albator.

Je me suis aussi reconnu dans les premiers émois sentimentaux de Ricardo, à guetter en vain l'arrivée de la belle sur la piste de patins à roulettes. Dans sa difficulté à se tailler une place dans un groupe déjà soudé. Dans l'égoïsme et la brusquerie de l'enfance, dans l'importance donnée aux effets de mode et aux prouesses en tout genre, dans le jeu de la bouteille comme dans la vie. Et j'ai pensé à mon plus vieux et à son Everest, un pincement au coeur.

Le CRTC se couvre de ridicule

Dans une décision rendue hier, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes soutient que les propos sur les «personnes de race noire» du dernier Bye Bye, «pris dans leur contexte, risquent d'exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris». Rien que ça.

Aussi, le CRTC demande à Radio-Canada de s'excuser publiquement pour deux ou trois jokes de mononcle, volontairement outrancières, qui visaient précisément, quoique maladroitement et malhabilement, à dénoncer le racisme envers les Noirs, dans la foulée de l'élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis.

De deux choses l'une, ou bien le CRTC ne comprend pas la signification de l'expression «pris dans leur contexte», ou il ne saisit pas la définition des termes «haine» et «mépris». Quoi qu'il en soit, le Conseil, qui n'entend visiblement rien à la satire, se couvre une nouvelle fois de ridicule.

Ce n'est pas parce que l'on rit que c'est drôle. Et ce n'est pas parce que le Bye Bye n'était pas drôle qu'il faut céder aux pressions du politiquement correct.

Le dernier Bye Bye était par moments d'un mauvais goût confondant (en ce qui concerne Nathalie Simard, particulièrement). Mais on ne saurait sérieusement prétendre qu'il a attisé la haine ou le mépris envers les Noirs. Envers Denis Lévesque peut-être.

Qu'aurait souhaité le CRTC? Que dans une émission satirique où l'on dépeint une caricature de raciste (le «gros cave» de Jean-François Mercier, notamment), on lui fasse dire «personne de race noire» ou «Afro-Américain»? Bye-bye la crédibilité.

Si l'objectif est d'empêcher les satiristes de mettre le mot «nègre» dans la bouche de personnages racistes, sous prétexte que le terme «a une intense portée émotionnelle et que les normes de la collectivité exigent par conséquent qu'on ne l'utilise qu'avec extrême prudence», aussi bien interdire clairement les émissions comme le Bye Bye des ondes publiques. Ce sera plus franc que la censure molle, drapée de moralité, que nous sert le CRTC.

 

Photo: Alliance Vivafilm

Pendant les 102 minutes de 1981, réalisé par Ricardo Trogi, j'ai retrouvé mes 8 ans.