Je n'aimais pas Les Colocs. Ce n'est pas que je n'étais pas fan. Je ne les aimais pas. Je trouvais leur musique de fêtards racoleuse, déphasée avec son époque, facile et sans conséquences.

Je n'aimais pas Dédé Fortin. Je n'aimais pas sa gouaille, sa désinvolture affichée, sa manière d'avoir l'air au-dessus de toute chose et de toute personne. Je ne l'aimais déjà pas quand je l'ai vu au gala de l'ADISQ, triomphant, envoyer un «french» au Québec tout entier. J'en veux pas de ton french.

Je ne comprenais pas l'engouement que son party band suscitait chez des amis, à l'université. Julie, dont la radio avait abusé, était devenue un vers d'oreille insupportable. J'avais trouvé présomptueux ce lancement d'Atrocetomique au Medley, le soir du référendum. On ne donne pas rendez-vous à l'Histoire.

Puis il y a eu Dehors novembre. L'album de l'émancipation, musicale et poétique. Cette chanson-titre, hypnotique, déchirante, magnifique, avec son intro à la The End des Doors. La fin. Celle de l'harmoniciste Patrick Esposito di Napoli, arrivé au bout de son Séropositif Boogie, chantée avec une tendresse solennelle par un Dédé Fortin en état de grâce. «J'attends un peu. J'suis pas pressé. J'attends la mort.»

La poésie d'André Fortin, à laquelle j'étais resté insensible, à laquelle je ne m'étais jamais intéressé, s'est éclairée d'un coup. Le spleen sous-jacent à la critique sociale, la joie authentique de l'engagement, le folklore qui s'ouvre sur le monde.

Dédé Fortin est mort bêtement, de malheur, un jour de printemps 2000. Plusieurs, comme moi, venaient de prendre toute la mesure de son talent. Plusieurs, comme moi, songent aujourd'hui à toute cette musique, à tous ces textes, que l'on n'aura jamais la chance d'entendre. «La planète tourne. 'Est pas supposée tourner sans moi.» Pas supposée, non.