Rafaële Germain me donne rendez-vous chez Cuisine et dépendances, boulevard Saint-Laurent. L'auteure travaille en ce moment au scénario d'un film adapté de son premier roman, Soutien-gorge rose et veston noir. Elle est aussi auteure à l'émission 3600 secondes d'extase et chroniqueuse à Je l'ai vu à la radio, à la Première Chaîne de Radio-Canada. Son deuxième roman, Gin tonic et concombre, paru il y a un an, s'est vendu comme son premier à plus de 82 000 exemplaires.

Marc Cassivi: J'ai voulu te rencontrer quand j'ai vu tes deux romans dans le Top 5 des meilleurs vendeurs de Renaud-Bray, avec Michel Tremblay entre autres. C'est quand même incroyable!

Rafaële Germain: C'est quand même incroyable. Je n'en reviens pas à ce jour. On espérait que le deuxième se vende parce que le premier s'était vendu...

M.C.: Mais que le premier revienne parmi les meilleurs vendeurs, quatre ans plus tard?

R.G.: C'est ridicule. Je me trouve très chanceuse. Il n'y a rien que je tiens pour acquis. Pas que je pense que ce ne sont pas des livres intéressants, mais considérant l'état du livre, c'est vraiment une chance incroyable. J'étais à la bonne place, au bon moment. J'ai commencé en faisant des textes sur comment choisir ses fruits au cahier Actuel. Maintenant, je sais comment choisir un melon mieux que personne!

R.G.: Mais j'ai eu la chance d'avoir la chronique Je t'aime, moi non plus, dans La Presse et un éditeur m'a contactée. Il y a des gens qui ont bien plus de talent, qui ont dû envoyer bien des manuscrits, sans jamais être publiés.

M.C.: Il y a quand même un vrai souffle dans ton écriture. Je ne suis pas surpris qu'un éditeur t'ait contactée.

R.G.: Je ne veux pas dire que je n'ai aucun talent, mais il y a beaucoup de gens qui disent: «On le sait bien, c'est la fille de...» Et je comprends que ça puisse être enrageant pour certains que j'aie autant de chance. Au début, j'angoissais avec le syndrome de l'imposteur, mais j'ai fini par me dire que si ça se vendait autant, c'est qu'il devait y avoir une raison. Mais il y a bien des gens qui ont connu plein d'obstacles alors que pour moi, ç'a été d'une facilité déconcertante. Je ne voulais pas écrire ce genre de roman...

M.C.: Tu méprisais la «chick-lit»?

R.G.: J'ai étudié en littérature. J'ai failli vomir quand mon éditeur m'a conseillé de lire Bridget Jones's Diary. Mais j'ai trippé en le lisant, évidemment. Ce sont aussi des livres qui s'écrivent assez facilement. Je ne mets pas mes tripes sur la table. Je ne me tords pas les boyaux. C'est de la littérature heureuse. Il y a beaucoup de gens qui me disent qu'ils se reconnaissent dans mes romans. Finalement, on n'est jamais aussi original qu'on le croit. L'histoire est inventée, mais le personnage, c'est un peu moi, ma façon de voir le monde.

M.C.: Tu te rends compte que bien des gens partagent ta vision.

R.G.: Mes angoisses surtout. Pour avoir été célibataire pendant trois ans, je peux dire que c'est une mine riche d'anecdotes. C'est extraordinaire. Je devrais me faire rembourser mes trois années de célibat par les impôts!

M.C.: Aujourd'hui, te considères-tu écrivaine?

R.G.: J'ai encore un peu de misère... Écrivain pour moi, c'est Victor Hugo. J'ai plus tendance à dire auteure. Pour moi, un écrivain, c'est beaucoup plus littéraire, sans vouloir diminuer la «chick-lit» ou ce que je fais. Peut-être que j'en ferai un troisième dans le même genre. Il y a des filles qui me le réclament. On devient stéréotypé assez vite. Je serais bien mal venue de m'en plaindre. C'est comme les gens qui font de la télé et qui se plaignent par la suite d'être reconnus dans la rue. C'est sûr que je suis tannée qu'on me demande: «Rafaële Germain, que pensez-vous de la relation de couple en 2009?» Je ne le sais pas! Mais c'est pas si pire comme prix à payer.

M.C.: Tu es arrivée à un moment où le créneau de la «chick-lit» n'était pas exploité au Québec.

R.G.: Oui. Il y a beaucoup de femmes qui lisent. On dit que 75 % des livres sont achetés par des femmes. Pour des filles de 25-30 ans qui veulent lire de la littérature populaire amusante, Marie Laberge, c'est un peu matante. Elles lisent beaucoup de traductions américaines. Mon éditeur ne m'a pas conseillé d'essayer ce genre-là pour en vendre. Le premier tirage était de 5000 exemplaires. Mon père ne pensait jamais qu'on les vendrait tous. Le deuxième est vendu aux États-Unis, en Slovaquie et en Pologne. Je trouve ça très drôle.

M.C.: Il y aura un film adapté du premier roman...

R.G.: Oui. J'avais pas mal de propositions: des séries télé, un film. Je comprends qu'un producteur de films soit intéressé à faire une comédie romantique à partir d'un roman qui a marché, qui se passe ici, et qui ne coûte pas trop cher à produire.

M.C.: Qui va le réaliser?

R.G.: On n'en est pas là encore. Je vois quelque chose de très simple, sans prétention, de bien rose. Je trouve ça important que ce soit sans prétention.

M.C.: On ne se connaît pas beaucoup, mais tu me sembles être quelqu'un, justement, sans prétention.

R.G.: Je suis consciente de la chance que j'ai eue de naître ici, dans une famille aisée, avec des parents qui m'ont transmis leur curiosité. J'essaie de ne pas l'oublier.

M.C.: Je t'en parle parce que le grand malentendu avec toi, c'est qu'on a l'impression que tu es prétentieuse. Peut-être parce que tu dis bien des choses avec ironie...

R.G.: Le cynisme passe assez mal ici, de façon générale. Il y a des gens qui me disent: «Je pensais que tu étais snob». Ce qui est drôle, c'est qu'il y a aussi des gens qui me parlent de toi et qui pensent que tu es prétentieux.

M.C.: Est-ce que c'est dur de vivre avec cette étiquette? Moi, je le vis très bien... (rires)

R.G.: Il y a cinq ans, j'ai dit à Nathalie Petrowski que si on me donnait 500 $, je le mettrais sur du foie gras et des souliers. On m'en parle encore! Bonjour le deuxième degré...

M.C.: Moi aussi, on m'en parle encore! J'ai déjà eu à te défendre dans un souper d'amis.

R.G.: Au Québec, faire des blagues sur l'argent, c'est très mal vu. De dire: «Je prends une beurrée de foie gras à tous les déjeuners», ça ne se dit pas. Je l'ai appris à mes dépens. Pourtant, être snob, ce n'est pas aimer le champagne. Être snob, c'est se prendre pour un autre, être affecté. Je déteste ça.

M.C.: Le vrai snobisme, c'est une posture. C'est essayer d'avoir l'air plus raffiné qu'on ne l'est réellement.

R.G.: La morale, c'est qu'il faut boire son champagne en cachette!

 

Illustration: Francis Léveillée, La Presse