Dominique Poirier me donne rendez-vous chez Portus Calle, boulevard Saint-Laurent. La journaliste a quitté Radio-Canada en juin dernier, après que son émission Dominique Poirier en direct, à RDI, eut été retirée de la grille. Dès le 8 juin, elle sera de retour dans la grande tour du boulevard René-Lévesque, mais cette fois à la Première Chaîne radio, dans la case de 9 h à 11 h 30, à l'animation d'un magazine culturel et social qu'elle veut informel et pétillant.

Marc Cassivi: Quand j'ai dit à des collègues que je venais te rencontrer, ils m'ont dit: mais oui, qu'est-ce qu'elle devient? Je vais essayer d'élucider le mystère...

Dominique Poirier: Il n'y a pas beaucoup de mystère. Sauf que je ne m'attendais sûrement pas à revenir aussi vite à Radio-Canada. Ç'a été une surprise pour moi. J'ai quitté il y a presque un an. Quand l'appel de la radio est venu, il y a deux mois, j'étais ravie mais étonnée.

M.C.: Tu croyais prendre davantage de détours?

D.P.: Si tu m'avais dit l'année dernière que je serais de retour à Radio-Canada cet été, je ne t'aurais pas cru. Je pensais que le parcours serait beaucoup plus long. D'ailleurs, je ne pensais pas nécessairement revenir. J'en suis très contente.

M.C.: Qu'as-tu fait depuis un an?

D.P.: Beaucoup de choses. J'ai d'abord eu le temps de réfléchir au métier et à ce que j'avais envie de faire. Quand on passe à peu près 25 ans dans la même boîte, avec une sécurité d'emploi, on ne se pose pas nécessairement de questions. Je suis devenue pigiste. Il a fallu que je m'organise. J'étais libre: je pouvais ne rien faire ou faire plein de choses. J'ai eu beaucoup de propositions, entre autres à l'extérieur du milieu des médias. J'ai dû me demander si je continuais ou pas à faire du journalisme. J'ai pris plusieurs mois à y réfléchir. J'ai fait des contrats à gauche et à droite. Je suis allée au Maroc, dans le cadre d'une conférence sur la diversité culturelle, faire un compte rendu de la crise des accommodements raisonnables au Québec. J'ai constaté qu'il y a une vie à l'extérieur des médias. Mais à partir du temps des Fêtes, j'ai fait ce que je m'étais dit au départ, c'est-à-dire rien: plus de contrats, plus de réflexion...

M.C.: Il y a pourtant matière à réflexion, avec ce qui se passe en ce moment dans le monde des médias.

D.P.: C'est vrai. Sauf que j'avais besoin de décrocher, avant de recommencer. Je n'ai pas cessé de réfléchir à l'avenir des médias: les journaux qui ferment aux États-Unis, la télévision que l'on diffuse de plus en plus sur l'internet. Ce monde-là est en train de se transformer de manière radicale. Il faut saisir l'occasion pendant qu'elle passe. C'est ce que j'ai fait. Il y a quelque chose de grisant à tout quitter et à se dire: on verra ce qui arrivera. Ça m'a permis de renouer avec beaucoup de gens que je n'avais plus le temps de voir. Ça m'a fait beaucoup de bien. J'étais un peu trop concentrée sur mon travail.

M.C.: Le vertige de partir, c'est grisant, mais ça doit aussi faire peur?

D.P.: Oui, mais j'étais prête. Il y a une chose que je peux dire, c'est que je n'ai jamais regretté mon choix.

M.C.: Tu semblais très sereine, même sur le coup.

D.P.: Je le suis toujours. Quand je suis partie, je n'ai pas claqué la porte. C'était sincère. Je n'ai pas fait ça pour la galerie. Je partais de toute façon. J'ai réalisé que dans la vie, on est tous sur un siège éjectable. Que l'émission ne revienne pas, ça fait partie du jeu. Je le sais d'autant plus que lorsque j'ai été nommée au Point, en 2003, il y a peut-être des gens qui convoitaient ce poste-là, qui ne l'ont pas eu et qui ont été déçus. Quand je suis allée à RDI, on a bousculé beaucoup la programmation. Des gens ont perdu leur émission. Pourquoi ce serait pire pour moi que pour eux? Ce n'est pas vrai que je vais me promener dans la salle des nouvelles à m'apitoyer sur mon sort en disant: «Regardez donc ce qu'ils m'ont fait! C'est-tu assez épouvantable?» Ce sont des choses qui arrivent. Par contre, à partir du moment où tu comprends qu'il y a une nouvelle stratégie des patrons et que ce qu'on t'offre, ce n'est pas tout à fait ce que tu veux, il te reste un choix, c'est de partir. J'ai passé une semaine assez difficile avant de me décider. Mais j'avais besoin de nouveaux défis.

M.C.: Finalement, tu comprends la décision de tes patrons, ce qui est assez ironique...

D.P.: Oui. Ça peut paraître étrange, mais je comprends la volonté des patrons d'avoir voulu essayer autre chose. Est-ce que tout s'est fait de la bonne façon? Je n'en sais rien. Il faudrait leur demander. Moi, j'ai fait un choix. Je suis partie. Je n'ai pas gratté le bobo. J'étais sereine. Ça ne donne rien de contester les décisions des patrons. Ils sont payés pour ça. Ils ont un droit de gérance. Peut-être que j'ai un esprit trop corporatiste?

M.C.: Lorsque la personne qui a été appelée à te remplacer, Patrice Roy, a décidé que d'animer deux émissions, c'était trop - il me semble d'ailleurs que c'était une sage décision - et que certains ont soulevé le fait que tu étais finalement partie pour rien, est-ce que ç'a rendu les choses encore plus difficiles?

D.P.: Je n'étais pas étonnée. Animer deux grosses émissions, c'est beaucoup demander. Sur le coup, c'est sûr que ça m'a fait de la peine. Je ne suis pas faite en bois. Mais ç'a duré une heure. Il n'a jamais été question que je revienne, pour eux comme pour moi. J'avais tourné la page. J'ai trouvé ça dommage, mais je n'ai pas oublié les raisons pour lesquelles j'étais partie: pour faire autre chose, pour voir ailleurs.

M.C.: Tu n'as pas fait une croix sur un retour éventuel à la télé de Radio-Canada?

D.P.: Je n'ai fait une croix sur rien. Quand on devient pigiste, on ne fait pas de croix. Par contre, ce qui m'allume en ce moment, c'est le projet radio. Je suis très contente, j'ai très hâte. Je suis nerveuse, j'ai le trac c'est sûr. Où tout ça me mènera après l'été? Je n'en sais rien. Peut-être que je vais retourner chez moi. De toute façon, je sais ce que c'est de ne pas travailler! (rires)

 

Illustration: Francis Léveillée, La Presse