Pierre-François Legendre me retrouve au Café Cherrier, rue Saint-Denis. Le comédien sera cet été de la distribution de la pièce Boeing Boeing, dans le cadre du Festival Juste pour rire, et tournera de nouveaux épisodes d'Il était une fois dans le trouble, à VRAK.TV. Retour sur la fin des Invincibles avec l'interprète de l'inoubliable Carlos Fréchette.

Marc Cassivi: J'avais envie de revenir sur la fin des Invincibles avec toi. Es-tu tanné d'en parler?

Pierre-François Legendre: Non, je ne suis pas tanné d'en parler. Il y a tellement eu un renouveau avec la troisième saison. Autant il y avait eu un buzz après la première saison, autant la troisième saison a suscité un engouement encore plus grand. Le fait que ce soit la dernière a magnifié le phénomène. Quelle belle façon de terminer. Il faut dire qu'on a lu les deux derniers épisodes à la dernière minute. Pour des raisons que tu sais...

M.C.: Catherine Trudeau était enceinte.

P.-F.L.: Oui. Les auteurs (Jean-François Rivard et François Létourneau) nous ont caché les textes, en nous faisant croire qu'ils n'étaient pas prêts.

M.C.: Je croyais que c'était seulement à elle qu'on avait caché la mort de Lyne.

P.-F.L.: Non, ç'aurait été trop difficile de garder le secret. Quelqu'un se serait échappé quelque part.

M.C.: Je me suis demandé, en voyant le dernier épisode, si Catherine l'avait tourné enceinte comme le reste de la série. Je trouvais ça assez heavy.

P.-F.L.: Elle avait accouché. Normalement, elle aurait dû lire les textes avant son accouchement, mais les gars ont préféré attendre.

M.C.: Avec raison. Toi aussi, tu es devenu père récemment.

P.-F.L.: Ma blonde était enceinte de sept mois quand on a tourné le dernier épisode. Ce qui m'a permis de trouver la charge émotive du personnage assez facilement. Le danger, c'était de tomber totalement dans le pathos. On a tourné dans le désordre, pendant trois jours à l'hôpital. J'aurais pu être en larmes tout le temps. Le défi, c'était de trouver l'émotion juste. Il y a des acteurs qui parfois aiment triper dans l'émotion. J'haïs ça. Tu penses que tu vas être touchant comme tu ne l'as jamais été, mais tu t'es seulement fait brailler pour toi. Tu as vibré, mais le téléspectateur n'a rien compris. C'est pourtant lui qu'il faut émouvoir. Ça prend un bon réalisateur pour retenir l'acteur. Jean-François m'a rassuré en me disant qu'il savait exactement où il s'en allait.

M.C.: Je trouve que vous avez trouvé cette émotion juste. La scène où les amis de Carlos ne répondent pas au téléphone est l'une des plus belles scènes de notre télévision.

P.-F.L.: Je suis très content du résultat. Et je suis très étonné de l'après-buzz des Invincibles. C'était très spontané. Les 900 000 personnes qui suivaient l'émission ont réalisé en même temps que c'était fini. Il y a eu des témoignages incroyables. La fin des Invincibles, c'est un choix des auteurs, parce que je pense bien que Radio-Canada n'aurait pas dit non à une quatrième saison.

M.C.: Ni à une cinquième ou une sixième...

P.-F.L.: Les auteurs savaient en écrivant la troisième saison qu'elle serait la dernière. Il fallait des couilles. Moi, je suis un interprète. Je viens de m'acheter une maison... (rires). Ce sont mes chums en plus. La série se serait-elle vraiment essoufflée avec une quatrième saison? Je leur ai demandé: «Les gars, vous êtes sûrs que vous voulez arrêter?» Je leur donnais quasiment des idées. La discussion a duré 15 minutes.

M.C.: L'impact de la fin des Invincibles se mesure aussi par le fait que la série s'est terminée après seulement trois saisons. Je trouve ça très habile, mais à la fois très «agace», que toutes les ficelles ne soient pas attachées, qu'on puisse chacun essayer de deviner la suite. En même temps, c'est casse-gueule, une fin de série. On s'en souvient longtemps. Ça teinte beaucoup l'appréciation qu'on en a a posteriori.

P.-F.L.: Pour des jeunes auteurs, le défi est d'autant plus grand. C'est ta première série, tu veux tout mettre, mais il faut faire des choix. Ce qui me surprend le plus des Invincibles, depuis que c'est terminé, c'est de voir à quel point la série a rejoint des gens de tous les horizons. Ma blonde a de la famille en Beauce, et j'y étais il y a deux semaines. Ils ont la même télé que les Montréalais, mais ils posent forcément un autre regard dessus, ce qui ne les a pas empêchés de triper autant sur Les Invincibles. Ils ne se sont pas sentis exclus. J'en suis assez fier. Et je me demande si je vais revivre un jour cette façon de rejoindre autant de gens, dans un contexte où je ne me dénature pas du tout. Je pense à l'après-Invincibles. J'ai des auditions, je me rebranche tranquillement sur autre chose.

M.C.: As-tu l'impression que le rôle de Carlos t'a marqué au fer rouge et que ça va prendre du temps avant de t'en défaire?

P.-F.L.: C'est quelque chose de marquant, mais ça peut m'amener ailleurs. Il y a peut-être un réalisateur qui va vouloir que Carlos sorte de moi. Pourquoi pas? Ça m'inquiète un peu, mais pas outre mesure. Je le dois au fait que j'ai beaucoup joué au théâtre à Québec avant de faire de la télé à Montréal. Tout le monde ne le sait pas, mais ma palette, je la connais. La bonne pâte en culottes de jogging qui se fait piler dessus, j'ai toujours été capable de la jouer. Il faut juste que j'aie l'occasion de montrer que je sais jouer autre chose. C'est un heureux problème. Si on m'avait dit il y a six ans que je serais étiqueté par le rôle de Carlos, je l'aurais accepté avec joie. Ça m'a permis de participer à quelque chose de grand. Et ça m'a permis de rentrer dans le salon de bien des téléspectateurs.

M.C.: Il y avait un attachement profond des gens aux Invincibles. C'est pour ça que plusieurs se sentent en deuil.

P.-F.L.: Les gens qui suivaient Les Invincibles avaient un sentiment d'appartenance. L'esprit de clan était très fort. Les auteurs ont créé des références, qui étaient les mêmes pour tout le monde. Pour le gars de la Beauce comme pour toi. Vous êtes différents, pour toutes sortes de raisons, mais vous vous reconnaissez autant dans les références culturelles, dans l'humour, dans la façon de communiquer entre gars des Invincibles. D'avoir pu participer à ça, c'est très touchant. Et c'est assez extraordinaire.