Il s'appelait Gamil Gharbi. Lorsque son père le battait jusqu'au sang, sa mère, terrorisée, détournait le regard. Il avait 7 ans quand ses parents se sont séparés. Il en avait 14 lorsqu'il a demandé à sa mère de changer de nom.

Le 6 décembre 1989, à 25 ans, Marc Lépine, kamikaze misogyne, bombe à retardement de violence contenue, a fait payer de leur vie, pour épancher sa haine, 14 femmes innocentes. Vingt ans plus tard, on ne comprend toujours pas. Y a-t-il, du reste, quelque chose à comprendre d'un tel acte de folie?

 

Polytechnique, film brillant, brutal et douloureux de Denis Villeneuve sur cette tragédie, prend l'affiche demain. On en a abondamment parlé. On en parlera encore longtemps, j'en suis convaincu. Or, de tout ce que j'ai lu sur le sujet depuis 10 jours, je retiens surtout la réunion volontaire, dans un billet, de deux noms.

Le premier est tristement célèbre. Le second, inscrit entre parenthèses, suggère que le premier est un leurre. Marc Lépine (Gamil Gharbi). C'est ainsi qu'une chroniqueuse, réagissant en quelques lignes au film, désigne celui que Denis Villeneuve se contente sobrement d'appeler «le tueur».

Elle aurait pu écrire Marc Lépine tout court. C'était son nom. Celui qu'il a choisi, sous lequel il est connu et avec lequel il est mort. Sa mère le lui avait offert comme cadeau d'anniversaire, en espérant conjurer le sort. La chroniqueuse a décidé d'ajouter son ancien nom, entre parenthèses.

Le geste n'est pas innocent. Ces parenthèses ne sont pas innocentes. Elles laissent entendre que Gamil Gharbi, alias Marc Lépine, a tué 14 femmes entre autres parce que son père, d'origine algérienne, était musulman. «Il est issu d'une culture sauvage qui a toujours méprisé les femmes», écrit sur le blogue de la chroniqueuse un de ses lecteurs.

On a rappelé à juste titre, depuis une semaine, les dérives de l'après-Poly. Ces gens, meurtris ou opportunistes, qui ont décrété urbi et orbi que le germe de la violence de Marc Lépine se trouvait chez chaque homme. C'était, à l'évidence, une connerie.

Le paradoxe, c'est que parmi ceux qui dénoncent le plus bruyamment les dérives d'hier se trouvent aujourd'hui ceux qui suggèrent, entre parenthèses, que le germe de la violence de Gamil Gharbi est latent chez chaque homme musulman. La connerie n'est pas toujours là où l'on pense.

Le père de Marc Lépine était un homme violent, machiste, qui martyrisait sa femme et ses enfants. On l'a décrit comme un harceleur sexuel. Le massacre de Poly et le délire misogyne de Lépine sont sans doute liés à son enfance brisée, sous le joug d'un tortionnaire qui empêchait sa femme de consoler son fils après l'avoir battu.

Mais suggérer qu'il y a un lien direct entre la tragédie de Polytechnique et le fait que Marc Lépine soit né Gamil Gharbi, en laissant entendre qu'il existerait en quelque sorte un gène récessif de la violence contre les femmes chez tous les musulmans, relève non seulement du sophisme insidieux, mais de l'islamophobie pure.

C'est un raisonnement aussi fallacieux que celui d'une autre chroniqueuse, Jan Wong, qui a écrit que les tueries de Poly, Concordia et Dawson étaient le fruit de l'incapacité de la société québécoise «pure laine» à intégrer ses immigrants.

C'est un point de vue aussi tordu que de prétendre qu'il y a chez chaque homosexuel un pédophile réprimé, chez chaque Italien un mafieux qui sommeille et chez chaque jeune Noir un vendeur de crack potentiel.

La chroniqueuse n'aurait d'ailleurs pas mieux exprimé son mépris en écrivant le mot «Noir», entre parenthèses, après celui de Marc Lépine. Marc Lépine (Noir). Manière de dire: ne vous fiez pas aux apparences, malgré son nom, il n'est pas ce qu'il semble et surtout, il n'est pas des «nôtres». Ce n'est pas parce que le racisme se cache entre deux parenthèses qu'il est plus acceptable.

Je prends pour exemple cette chroniqueuse et ces parenthèses. Mais j'aurais pu parler de tous ces autres textes qui circulent depuis quelques jours, sans parenthèses, dans cette tribune sans filtre qu'est la blogosphère. Ils disent clairement ce que suggère la chroniqueuse: la tuerie de Polytechnique était un acte sauvage, commis par un sauvage, élevé dans une culture de la violence qui se transmet religieusement de père en fils, pour le seul plaisir de voir le sang de femmes soumises gicler.

Une culture qui, bien sûr, n'est pas celle du Québec blanc, francophone, athée ou chrétien. Une façon comme une autre de s'en laver les mains.