Patrice Robitaille me donne rendez-vous chez Da Emma, dans le Vieux-Montréal. L'acteur et coscénariste des films Québec-Montréal et Horloge biologique (avec Ricardo Trogi et Jean-Philippe Pearson) incarne de nouveau, depuis la semaine dernière, le personnage de Steve dans la troisième et dernière saison des Invincibles (mercredi 21 h, Radio-Canada). Discussion entre deux gars de la même génération.

Marc Cassivi: Je voulais profiter du retour des Invincibles pour te parler des gars de notre génération. J'aurais honte de l'avouer à ma blonde - ce n'est pas très édifiant -, mais il y a quelque chose de mon rapport avec mes chums, à une certaine époque, que je reconnais dans Les Invincibles.

Patrice Robitaille: J'ai toujours été fasciné par la différence de rapport que j'ai avec mes amis lorsque nous sommes entre nous, et lorsque nous sommes en présence de l'être cher. J'ai toujours aimé observer les comportements des gars. Il y a beaucoup de ça autant dans les deux films que j'ai coscénarisés que dans Les Invincibles. J'ai réfléchi récemment au fait que j'ai toujours été dans un groupe, depuis la maternelle. J'ai toujours fait partie d'une gang de gars. Je me rends compte que ça m'a suivi toute ma vie. Je dis ça sans aucune prétention, mais je trouve que dans les films et dans Les Invincibles, il y a un peu de la vengeance du gars ordinaire. Du gars qui a couru après une fille tout son cégep, sans succès, parce qu'elle sortait avec le gars cute qui jouait au basket. C'est la vengeance du gars correct qui, au bout du compte, n'est peut-être pas si correct que ça... (rires)

M.C.: On aime se dire que les filles ont connu des gars moins corrects que nous...

P.R.: Elles sont attirées par ça. C'est typiquement féminin de vouloir être avec l'écorché, le ténébreux - celui qui nous tombe sur les nerfs! À un moment donné, elles se rendent compte que c'est d'un gars correct qu'elles ont besoin. Mais le gars correct ne l'est jamais tant que ça. C'est pour ça que les gars se reconnaissent souvent dans ces personnages-là.

M.C.: C'est bien que vous ayez scénarisé vos films avant d'avoir des enfants. Aujourd'hui, vous auriez peut-être plus de difficulté à vous remettre dans la peau des personnages.

P.R.: Au moment où on les a écrits, on était en plein dedans. On a pris nos travers et on les a grossis.

M.C.: Aujourd'hui, vous écririez peut-être une comédie sur la famille. Sur ceux qui vivent bien avec leur statut de père, et ceux qui s'en sortent moins bien...

P.R.: Ça pourrait encore être une comédie de moeurs. On a essayé les trois auteurs d'écrire un autre scénario, mais on a eu l'impression de réécrire la même chose, en moins bon.

M.C.: J'aime beaucoup Les Invincibles. J'ai adoré le mariage de Carlos et de Lyne. Le poème des filles...

P.R.: C'étaient des noces à Brossard, auxquelles on peut croire. C'est ça qui m'intéresse comme spectateur. C'est ce que j'aime des Invincibles. On peut croire qu'ils existent vraiment.

M.C.: Sauf P-A., on espère qu'il n'existe pas vraiment!

P.R.: Il n'a pas d'allure. J'ai dit à François (Létourneau) qu'il était temps que ça arrête. Plus ça va, plus P-A est débile. La dynamique Carlos-Lyne est essentielle au récit, mais je trouve qu'au fil des saisons, le personnage de P-A s'est développé pour le mieux... en ce qui concerne la fiction. Mais pour le reste...

M.C.: On sent une évolution chez tous les personnages. Même Carlos a décidé de choisir ses combats avec Lyne. Mais P-A est resté au degré zéro d'empathie...

P.R.: C'est hallucinant.

M.C.: As-tu eu peur à un certain moment d'être confondu pour tes personnages et d'être condamné à des rôles de gars de 30 ans pas branché?

P.R.: Oui. D'autant plus que je trouve souvent que les gens - et ce n'est pas un reproche - font de toi la somme de tous les rôles que tu as joués. Ils mélangent tout. Je ne trouve pas que le personnage des Invincibles ressemble au personnage d'Horloge biologique. Dans le film, c'est le gars-gars un peu raisin, tandis que Steve, dans Les Invincibles, c'est le plus sensible et le plus tourmenté. Donc, oui, pour répondre à ta question, ça m'a traversé l'esprit, mais il y a un prof au Conservatoire qui disait: «Il ne faut jamais renier votre clé pour rentrer dans ce métier.» Si tu es un petit gros, tu vas jouer des rôles de petit gros sympathique. Même nous, on se cantonne là-dedans. On se donne des rôles qui nous coincent un peu dans nos stéréotypes. Mais plus tu travailles et plus tu as la chance d'aller ailleurs.

M.C.: Il y a dans Les Invincibles une certaine illustration de comment notre génération peut être individualiste. Je ne sais pas dans quelle mesure on l'est plus que d'autres. J'ai toujours eu l'impression que la génération qui nous précède, les gens qui ont aujourd'hui 45-50 ans - la «génération sacrifiée» -, avaient moins de projets communs que nos parents baby-boomers ou nous. On est individualistes?

P.R.: La réponse classique, c'est qu'on a le luxe de l'être. Autrefois, il y avait une mainmise de la religion qui faisait qu'on n'y pensait même pas. Je vais peut-être dire une énormité, mais à partir du moment où les femmes ont voulu, avec raison, avoir des carrières elles aussi, les rôles ont été moins bien définis. Avant, c'était clair: l'homme était le pourvoyeur. Ma blonde vient du Grand Nord et c'est un peu la même chose là-bas, à une autre échelle. L'homme a perdu ses repères. Il devait être le chasseur, le pourvoyeur. Je simplifie à l'excès, mais aujourd'hui, il a un chèque du gouvernement. J'ai l'impression que le problème du Grand Nord, c'est l'homme qui ne connaît plus son utilité. Il est mêlé. On a vécu ça d'une façon différente. Il y a eu une espèce de crise des rôles, et un éclatement. J'aime vivre à cette époque où les femmes sont libres et indépendantes. C'est tellement plus riche. Mais les hommes sont encore un peu mêlés.

 

Illustration: Francis Léveillée, La Presse