Il n'existe pas, dans le merveilleux monde des arts, de corps de métier plus susceptible et plus chatouilleux que celui des humoristes. J'en ai encore eu la preuve mardi, en participant au débat «Méprise-t-on les humoristes au Québec?» dans le cadre du colloque L'humour, quosse ça donne?

La discussion, sur l'humour, s'est transformée en procès d'intention des médias. Quelques humoristes, qui reprochent aux journalistes et aux intellectuels - de façon générale - de parler d'eux comme d'un bloc monolithique, ont accusé «les journalistes» de ne pas bien faire leur travail.

 

Je ne défendrai pas ici «les journalistes». Il y en a des bons comme il y en a de très mauvais. Je soulignerai cependant que je n'ai jamais vu des artistes se plaindre autant des journalistes que des humoristes. Dans les galas, dans les journaux, à la radio, sur les blogues, à la télé...

Il y a chez les humoristes un esprit de corps, un corporatisme, un consensus affiché publiquement que l'on ne retrouve pas chez les musiciens, les comédiens, les cinéastes. Ils se défendent souvent en bloc. Cela n'excuse pas, mais explique peut-être le fait qu'ils soient ainsi perçus par certains observateurs.

Mon Dieu que les humoristes peuvent manquer d'humour. Mardi, j'ai vu certains d'entre eux s'enflammer à propos d'une vieille chronique, assez drôle, du collègue Hugo Dumas. Imaginez: en mai, Hugo a osé dire... que les galas télévisés ne l'excitaient pas. Hon!

J'ai relu sa chronique hier. Hugo n'a pas écrit, comme je l'imaginais à leur réaction, que le gala Les Olivier était une séance d'autocongratulation superflue, une vitrine de choix pour nouveaux riches ou une remise de 15 prix pour cinq nouveaux spectacles. Il a dit, en substance, «bof».

Ce n'est pas très original. Un gala est ennuyeux par définition. Voir des gens monter sur scène pour cueillir un trophée est anti-télévisuel. Est-ce que nommer l'évidence, c'est exprimer son mépris pour les humoristes?

Le mépris, c'est l'animateur Martin Petit qui, au lendemain du gala Les Olivier, après une critique tiède mais juste, s'attaque sur son blogue à la personne même d'Hugo Dumas, à sa vie privée, pour discréditer son travail.

Cinq mois plus tard, on parle encore du «bof» de mon collègue comme s'il s'agissait d'un crime de lèse-majesté. L'un des scripteurs des Olivier a même suggéré mardi que les journalistes ne critiquent plus les galas d'humour.

«Ils ne sont présentés qu'une fois. Pourquoi en parler le lendemain?» Pourquoi ne pas aussi empêcher les journalistes de parler du Bye Bye, des matchs du Canadien et du spectacle de Paul McCartney sur les plaines d'Abraham tant qu'à y être?

Déjà que les humoristes ont obtenu des journalistes qu'ils ne critiquent leur spectacle qu'à la 35e ou 45e représentation, après des mois de rodage. Au théâtre, les comédiens et metteurs en scène n'ont parfois que deux soirs pour faire des ajustements à la pièce avant d'être critiqués.

C'est peut-être l'un des problèmes des humoristes dans leur rapport à la critique. La plupart ont souvent été choyés. Ils n'ont pas eu à souffrir, comme d'autres, de l'intransigeance d'un Robert Lévesque.

Qu'un humoriste ose suggérer qu'on ne critique pas son spectacle, sous prétexte qu'il n'est présenté qu'une fois, témoigne à mon avis d'une réelle immaturité. Personne n'aime se faire dire ses quatre vérités. Personne n'aime qu'on mette le doigt sur ses bobos. Le musicien pas plus que l'humoriste.

Pourquoi alors les humoristes se plaignent-ils davantage de la critique que les autres artistes? Peut-être parce que leur art est tellement lié à leur personne qu'ils ont de la difficulté à faire la part du privé et du public? La réaction épidermique de certains le laisse croire.

Il y a quelques années, dans un autre gala Les Olivier, les Grandes Gueules avaient suggéré que tous les humoristes se défoulent sur une piñata à l'effigie de Benoit Dutrizac et de Denise Bombardier (qui, bien sûr, les avaient critiqués). Dans le même gala, Martin Petit - encore lui - s'en était pris à certains journalistes qui avaient osé écrire, à la blague, qu'ils regarderaient tout sauf Les Olivier à la télé. Que certains humoristes peuvent être premier degré.

J'ai posé la question mardi, pendant le débat: les humoristes souffrent-ils d'un complexe d'infériorité collectif (à l'exception évidente de Martin Matte)? C'est vrai qu'ils sont victimes, non pas de mépris, mais de certains a priori négatifs.

À quoi sert une École de l'humour? demandent certains. Rien de plus simple que d'aligner des blagues sur scène, croient d'autres. Ceux-là n'ont certainement pas vu le plus récent spectacle de Louis-José Houde, qui est sans doute ce que j'ai vu de plus précis, de plus efficace, de plus abouti sur scène cette année, toutes disciplines artistiques confondues.

Les humoristes veulent (et doivent) être reconnus comme des artistes à part entière. Par le public, les médias et les institutions. La directrice générale de L'École nationale de l'humour - et organisatrice du colloque -, Louise Richer, rappelle que ce n'est pas encore fait, notamment en ce qui concerne le financement des études et les subventions aux jeunes artistes.

Être un artiste à part entière, c'est aussi accepter que la critique fait partie de l'art.

Merci

J'ai reçu une déferlante de courriels à la suite de ma chronique sur les excès de Pierre Falardeau («Elvis Falardeau»), mardi. Je n'ai jamais vu ma boîte se remplir aussi vite. Il faut croire que j'ai dit tout haut ce que bien des gens pensent tout bas, comme le veut le cliché. Aussi, vous permettrez que je vous remercie collectivement plutôt qu'individuellement. Même le monsieur qui m'a écrit que «ça prenait un Macaroni pour défendre un Japonouille»...