S’il faut en croire les promoteurs du projet de loi 21, la laïcité ferait partie du « caractère distinct » du Québec… et serait même comparable, en importance et en signification, à la loi 101 ! Comme si le besoin malsain d’humilier les minorités religieuses était à la hauteur du désir légitime d’assurer l’avenir de la langue française !

Tout cela est une opération de marketing politique montée de toutes pièces pour donner à une législation mesquine et discriminatoire l’apparence d’un beau grand projet collectif.

En vérité, jamais dans l’histoire la laïcité n’a été vue ou perçue comme élément de l’identité québécoise… Jamais, jusqu’à ce que — quelle coïncidence ! — l’immigration musulmane commence à devenir plus visible, il y a une douzaine d’années.

Non seulement le modèle français de la laïcité n’a-t-il aucune racine dans l’histoire du Québec, il n’a jamais non plus été un enjeu de la Révolution tranquille, ni fait partie des grandes revendications nationalistes et souverainistes.

On en avait contre l’emprise de l’Église catholique, certes, mais personne ne s’intéressait au modèle français de la laïcité.

Dans les années 60, un éphémère Mouvement laïque, dirigé notamment par Jacques Godbout et Judith Jasmin, réclamait la neutralité de l’État et la déconfessionnalisation des institutions (par exemple le mariage civil, un ministère de l’Éducation, etc.).

Le Rassemblement pour l’indépendance nationale s’identifiait comme laïque, mais c’était surtout pour se distinguer du précédent mouvement séparatiste, l’Alliance laurentienne, qui s’inscrivait dans la mouvance catholique. Jusque-là, en effet, le nationalisme avait été l’apanage de la droite cléricale dont le chanoine Groulx était le plus illustre représentant.

Quand le Parti québécois a pris le relais, jamais le concept de laïcité n’est apparu dans l’abondante masse de documents produits par le mouvement souverainiste.

Nul ne connaît mieux les ressorts d’un peuple qu’un bon publicitaire. En 1976, Jacques Bouchard a défini les principales « cordes sensibles » des Québécois de langue française. La laïcité n’en faisait pas partie. Au contraire, une bonne partie des traits majeurs des Québécois francophones venaient du passé rural catholique.

À la fin des années 80, quand tout un chacun a commencé à disséquer la notion de « caractère distinct » contenu dans l’accord du lac Meech censé satisfaire aux revendications constitutionnelles du Québec, jamais n’a-t-il été question de la laïcité. On ne parlait que de la langue et du Code civil.

Pas question de laïcité non plus en 2016, quand le sondeur Jean-Marc Léger a publié son fameux Code Québec sur les attitudes qui distinguent les Québécois francophones des Canadiens anglais.

Oui, les Québécois semblent aujourd’hui plus hostiles à la religion en général que les Canadiens anglais, et à plus forte raison que les Américains. C’est tout simplement parce qu’ils ont été longtemps soumis à l’Église. Même si les témoins directs de cette époque sont en voie de disparition (le Québec est un État laïque depuis 50 ans !), les vieilles histoires d’abus et de répression se transmettent au sein des familles.

Mais ce ressentiment contre l’ancien clergé n’a rien à voir avec la laïcité à la française dont le PL21 est une pâle et maladroite copie.

La laïcité, en France, est un modèle unique, résultant d’un siècle d’affrontements survenus entre les républicains et les partisans de l’ancien régime. Cela n’a rien à voir avec l’histoire du Québec.

Pourquoi ce soudain intérêt pour un modèle typiquement français, alors que les Québécois sont (malheureusement) plus éloignés de la France que jamais dans leur histoire ?

Il y a 30 ans que les Québécois boudent la France comme lieu de formation universitaire (on préfère aller aux États-Unis, voire à Toronto). On n’enseigne plus la littérature française dans nos écoles. Nombreux sont ceux qui se disent plus « chez eux » à Londres qu’à Paris. D’ailleurs, selon Léger, les deux tiers des Québécois francophones se sentent plus proches de la culture anglaise ou américaine que de la culture française…

Paradoxalement, alors que le Québec aurait tellement à apprendre de la France dans tant de domaines, on importe ici ce que la France a de moins bon à offrir, soit un modèle d’assimilation rigide, qui d’ailleurs ne marche pas.

D’où vient donc cet engouement subit pour le modèle français de laïcité ? La réponse est aussi navrante qu’évidente : de la peur de l’immigration (surtout musulmane). Le PL21 est du même acabit que les autres mesures anti-immigration du gouvernement Legault.

Cette loi sur la laïcité ne sera qu’un talisman symbolique contre l’immigration qui dérange, une façon dérisoire de s’affirmer contre plus faible que soi, le signal subliminal lancé à tous ceux qu’irrite la vue d’une kippa ou d’un foulard islamique.

Ce que l’on voit ici à l’œuvre, c’est le vieux nationalisme défensif et hargneux de l’Union nationale, qui est revenu en force une fois la souveraineté évacuée du tableau.

Dans Le Devoir de jeudi, le politologue émérite de l’Université Laval Louis Balthazar a bien diagnostiqué la nature de cette loi. Il explique comment, à la différence de la tradition républicaine française, le Québec s’est tranquillement laïcisé, sur un mode pragmatique plutôt que dogmatique, et avec la coopération du clergé : « Une évolution, dit-il, qui s’est poursuivie sur la base de compromis, voire de certaines incohérences qu’un certain pragmatisme propre à notre population lui a fait accepter. Ainsi nos écoles publiques sont devenues laïques en réalité tout en demeurant officiellement confessionnelles jusqu’en 1998. »

Or, signale-t-il, « durant toutes ces années d’évolution, je ne me souviens pas de quelque mouvement important qui ait réclamé une loi sur la laïcité. Il faudra attendre le début du XXIe siècle et une pratique répandue de certains accommodements raisonnables à l’endroit de certains groupes d’immigrants pour qu’un malaise social appelle une loi formelle sur cette question […]. Les raisons qui ont amené la majorité des Québécois à soutenir une législation contraignante ne s’inscrivent pas dans une tradition qui nous serait propre ».

« De toute évidence, conclut M. Balthazar, nous avons été plus patients envers nos contradictions qu’envers celles des nouveaux venus. »

Pragmatiques pour nous-mêmes, dogmatiques pour les autres…

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