Y a-t-il au monde une personne plus gentille que Justin Trudeau ? Cet aimable personnage, qui n'a jamais rencontré un quidam avec lequel il n'a pas voulu se faire prendre en selfie, semble vouloir plaire à tout prix... à tel point qu'il vient de se déclarer ingénument « très heureux » à l'idée de renégocier le traité de libre-échange avec les États-Unis !

Il a lui-même soulevé la question dans l'appel de convenance qu'il a fait à M. Trump pour le féliciter de sa victoire, disant qu'il serait tout disposé à parler de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) si les Américains le veulent ! Aux reporters époustouflés par cette bizarre initiative, M. Trudeau a laissé entendre qu'une discussion sur l'ALENA pourrait améliorer la position commerciale du Canada.

« Dire que c'est naïf serait trop poli », de fulminer l'ancien ambassadeur Derek Burney, qui a été le maître d'oeuvre du Canada dans les négociations du libre-échange avec les États-Unis en 1987. À l'instar d'autres négociateurs expérimentés, il croit que tout changement au traité ne pourra se faire qu'au détriment du Canada.

« M. Trudeau n'avait pas à prendre les devants. Nous devrions nous tenir cois avant de savoir quelles sont les intentions d'une administration qui n'est même pas encore au pouvoir. »

La leader de l'opposition, Rona Ambrose, a signalé avec raison qu'en remettant l'ALENA sur la table avant même que son interlocuteur n'en fasse mention, le gouvernement s'est placé dans une position de faiblesse.

En d'autres termes, c'est le joueur de poker qui ouvre son jeu au début de la partie, c'est le propriétaire qui se déclare prêt à baisser son prix avant même d'avoir reçu une offre, c'est le petit chaperon rouge qui invite le méchant loup à le manger tout rond, ou le gentil bisounours qui fait des mamours au grizzli qui va lui sauter dessus.

Ce n'est pas être paranoïaque que de prévoir que le Canada ne sortira pas gagnant d'une renégociation du libre-échange - un traité que le président désigné n'a cessé de qualifier de « catastrophe » à éliminer ou à renégocier entièrement.

Tout traité résulte d'un vaste exercice de give and take. Pour Trump cependant, il s'agira cette fois d'un « take back » : reprendre sans rien donner.

Cet engagement a été du début à la fin l'axe central de sa campagne. C'est cela qui lui a valu l'appui crucial des zones désindustrialisées et des ouvriers déclassés de la Rust Belt. S'il y a un sujet sur lequel il ne lâchera pas ses partisans, c'est bien celui-là.

Il va sans dire que le jour où la future administration Trump décidera de se mettre à table pour réviser l'ALENA, le Canada n'aura pas le choix de s'y asseoir lui aussi, et qu'il devra le faire de bon gré, en bon voisin.

Mais il devra négocier durement et sérieusement, pas à pas, mot par mot et ligne après ligne, pour simplement conserver une partie de ses acquis et espérer en grignoter d'autres. À plus forte raison si d'autres questions viennent s'y rattacher, comme l'éternel litige sur le bois d'oeuvre.

Cela devra être une négociation entre adultes endurcis, pas un exercice de charme des bisounours. Et ce ne sera certainement pas une « conversation » - le terme à la mode dans la trudeausphère, où l'on croit que l'amour et l'ouverture d'esprit triomphent de tous les obstacles.

Jusqu'à hier, les milieux d'affaires se rassuraient en se disant que le Canada serait épargné parce que Donald Trump en avait surtout contre le Mexique, où les bas salaires ont favorisé la délocalisation d'entreprises américaines. Le Mexique, rappelons-le, s'est joint en 1994 au traité de libre-échange Canada-États-Unis, désormais rebaptisé Accord de libre-échange nord-américain.

Mais hier, justement, la chaîne CNN révélait qu'une note produite par l'équipe de transition du président désigné choisit la réouverture de l'ALENA comme la première des priorités... et précise que plusieurs propositions d'amendements concernent des enjeux d'importance pour le Canada, notamment l'étiquetage des viandes exportées, les tarifs qui pénalisent les producteurs d'oeufs, de poulet et de produits laitiers américains, de même que l'exportation du bois d'oeuvre du Canada. Les Américains accusent le Canada de subventionner l'industrie parce que le bois provient de terres de la Couronne louées à bas prix.

En fait, rappelle CNN, les États-Unis ont eu, ces dernières années, davantage de litiges commerciaux avec le Canada qu'avec le Mexique.

La note mentionne la possibilité que les États-Unis se retirent carrément de l'ALENA. C'est probablement une position de négociation de départ. Souhaitons que M. Trudeau cesse de naviguer à vue dans ce dossier et qu'il délègue à la table des négociateurs avisés.

Le premier ministre avait pourtant bien joué ses cartes durant la campagne présidentielle. Harcelé par des reporters qui lui demandaient stupidement s'il avait une préférence dans cette campagne, M. Trudeau avait eu le bon sens de refuser de se prononcer.

Encore cette semaine, il n'a pas répondu à une autre question oiseuse d'un reporter qui lui demandait ce qu'il avait dit à sa fille au lendemain de la victoire de Trump, histoire de l'inviter à condamner les propos sexistes du président désigné.

Le chef du gouvernement canadien n'a pas à critiquer publiquement le leader qu'ont choisi nos voisins américains. Ce serait enfantin, stérile et contre-productif. Mais de là à s'offrir prématurément en pâture au grizzli, il y a une marge.