Les gouvernements intelligents sont ceux qui savent quand avancer et quand reculer.

En mai dernier, le gouvernement Couillard a renoncé à légiférer contre les « discours haineux », une initiative qui faisait double emploi avec le Code criminel et représentait une intolérable menace à la liberté d'expression.

Dans une démarche analogue, le gouvernement Trudeau semble enclin à remiser son projet de réforme du mode de scrutin - un projet dont la population n'a jamais ressenti le besoin.

M. Trudeau a déclaré cette semaine qu'il n'y avait guère d'enthousiasme dans la population pour cette réforme, ce qui est parfaitement vrai. Ce qui l'est moins, c'est la raison alléguée par le premier ministre, qui ce jour-là n'était pas en reste de vanité.

Auparavant, prétend-il, les gens voulaient changer le système électoral parce qu'ils n'aimaient pas le gouvernement Harper.

Mais c'était avant que la Providence nous envoie le bien-aimé Justin Trudeau... Autrement dit, les gens voulaient une réforme parce que le gouvernement Harper avait été élu avec seulement 39 % des voix, mais n'en veulent plus sous un gouvernement Trudeau élu avec... 39 % des voix !

Passons sur la sottise de l'argument. En réalité, il n'y a jamais eu de vague de fond en faveur d'une réforme du mode de scrutin. Ce ne fut toujours, beau temps mauvais temps, que la revendication des petits partis, qui pourraient voir leur députation augmenter avec une forme de représentation proportionnelle.

Ce qui toutefois suscite l'ire de plusieurs scribes - et évidemment un tollé parmi l'opposition - c'est que cette réforme a fait l'objet d'un engagement électoral ferme et clair. Les élections d'octobre 2015 seraient les dernières, jurait M. Trudeau, à se tenir selon le système uninominal à un tour (« first past the post »).

Pourquoi cet engagement imprudent, alors que selon le Directeur général des élections, il faudrait au moins deux ans avant de mettre en place un nouveau système ? Il est probable que les stratèges libéraux voulaient ainsi s'attirer les votes des sympathisants du NPD et des Verts.

Pour la même raison, le nouveau chef péquiste Jean-François Lisée vient lui aussi de sauter dans le coche, dans une vaine tentative d'inciter Québec solidaire à s'allier au PQ pour l'élection partielle de Verdun. Comme M. Trudeau s'apprête apparemment à le faire, et comme René Lévesque avant eux, M. Lisée oubliera vite cette promesse si jamais il se retrouve au pouvoir.

Sérieusement, à qui ferait-on croire que les gens qui ont voté pour le PLC étaient animés par le désir de changer le mode de scrutin ?

On a élu le PLQ parce qu'il représentait un changement, que la « marque » libérale inspirait confiance, et que M. Trudeau a mené une bonne campagne, point à la ligne.

De toute façon, l'affaire était bien mal partie. Curieusement, M. Trudeau avait confié ce dossier complexe à Maryam Monsef, une néophyte de 31 ans. S'il tenait vraiment à cette réforme, le premier ministre n'aurait-il pas choisi un pilote plus solide et qualifié ?

La jeune ministre a effectué une consultation publique sur le sujet, sans résultat probant. En septembre, une réunion convoquée à Gatineau n'a attiré qu'une centaine de personnes, et encore la discussion s'est-elle vite engluée dans la confusion, selon ce qu'a rapporté Le Devoir.

Autre problème, les partis ne s'entendent pas sur la formule à adopter. Celle que favorisent les libéraux - surprise ! surprise ! - est celle qui les avantagerait, mais bien sûr, les autres partis n'en veulent pas... Ce serait bien le comble de l'autoritarisme que le gouvernement se serve de sa majorité parlementaire pour la faire passer de force.

Alors, un référendum à défaut de consensus parlementaire ? Dans l'histoire récente, trois référendums dans autant de provinces ont rejeté des projets basés sur la représentation proportionnelle.

M. Trudeau découvre un peu tard que la population ne tient pas à chambarder un système qui lui assure, la plupart du temps, des gouvernements majoritaires et stables, de même que la possibilité de changer harmonieusement de gouvernement au gré de la volonté populaire.

Le premier ministre peut se permettre cette volte-face parce qu'il est actuellement immensément populaire. La plupart des électeurs oublieront vite cette promesse non tenue parce que cette affaire ne les intéresse pas. Mais ce recul, que le NPD voit avec raison comme une véritable trahison, reviendra le hanter une fois la lune de miel terminée, et alimentera le cynisme ambiant envers la classe politique.