Ce n'est pas d'hier que Jean-François Lisée joue la carte identitaire dans ce qu'elle a de plus rétrograde et mesquin, sans se soucier que ses propos puissent enflammer les esprits, pourrir l'atmosphère et accentuer le fossé qui existe déjà entre la majorité québécoise et les minorités.

Mais ces temps-ci, poussé par l'ambition de devenir chef du Parti québécois, il en remet. Ainsi, le voilà qui veut interdire la burqa dans l'espace public (comme le fait la France avec les beaux résultats que l'on connaît), pour des raisons de « sécurité », avant qu'un djihadiste y dissimule des explosifs comme « c'est déjà arrivé en Afrique » (sic) !

Pourquoi pas, tant qu'à y être, bannir les capes, les châles, les blousons amples, voire les sacs à dos qui sont encore, à ce qu'on sache, les accessoires favoris des terroristes ?

La députée Agnès Maltais l'a rabroué là-dessus, mais paradoxalement, elle insiste pour que le projet de loi libéral sur « les services à visage découvert » inclue aussi le tchador (qui ne masque pas le visage). Mais ne cherchons plus la logique au sein de ce parti qui a perdu son élan, sinon son âme.

M. Lisée, s'immisçant dans le débat le plus ridicule de l'année, veut également bannir le burkini. Il ne nous dit pas cependant s'il s'agit là aussi d'une question de « sécurité ».

Avec une outrecuidance extraordinaire, Jean-François Lisée avait défendu bec et ongles la charte des valeurs du gouvernement Marois sur toutes les tribunes - jusque dans le New York Times -, pour la répudier sommairement une fois le gouvernement battu.

Il propose aujourd'hui une autre mouture de la charte, en deux volets : l'interdiction des signes religieux pour les fonctions régaliennes (la formule fort acceptable de Bouchard-Taylor), mais aussi, et voilà où le bât blesse, une politique « incitative » visant à décourager les employés du secteur public de porter un symbole religieux.

Cette approche, qu'il présente comme une voie plus modérée et plus tolérante, serait au contraire encore plus nocive, quant au climat social, que l'interdiction pure et simple.

On voit d'ici l'éducatrice en hijab ou le médecin coiffé d'une kippa se faire admonester par les collègues, les patrons ou le public, qui leur rappelleraient que leur obstination est mal vue et moralement condamnée par l'État. Ils ne perdraient pas nécessairement leur emploi, mais ils seraient sujets aux blâmes et stigmatisés.

Cette glissade vers des positions qu'applaudiraient Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy ne date pas d'hier.

En 2007, M. Lisée voulait interdire aux nouveaux citoyens (ou aux Canadiens venus d'autres provinces) qui n'auraient pas démontré une connaissance minimale du français le droit de briguer des postes électifs. Cette idée flottait alors dans l'air au Parti québécois, mais M. Lisée, lui, allait encore plus loin : ces mêmes citoyens se verraient privés de leur droit de vote.

Heureusement, une fois le PQ de retour au pouvoir, il s'est sagement abstenu de donner suite à ces projets indignes d'une société démocratique et qui, bien évidemment, auraient été désavoués par les tribunaux.

Maintenant qu'il est embarqué dans la course à la direction, M. Lisée en rajoute. Il suspendrait les droits civiques de tous les nouveaux citoyens durant une période de 12 mois... théoriquement pour les forcer à se familiariser avec les enjeux de la société. Comme si les immigrants pouvaient obtenir la citoyenneté canadienne en débarquant de l'avion ! (Ils doivent, au contraire, avoir résidé ici pendant l'équivalent de quatre années sur les six ans précédant leur demande de naturalisation.)

L'ancien journaliste a emprunté, en les raffinant un peu, les thèmes identitaires populistes que la Coalition avenir Québec exploite actuellement à sa manière brouillonne habituelle. Ainsi, il s'insurge, comme François Legault, contre la hausse du nombre d'immigrants, mais propose une solution inédite : confier au Vérificateur général (VG) la tâche de fixer les seuils d'immigration en fonction de « critères objectifs ».

Quelle idée saugrenue ! Le VG est un administrateur chargé de vérifier la conformité aux normes des activités gouvernementales. À moins qu'on veuille remplacer les gouvernements élus par des équipes de comptables, on ne confie pas les enjeux de l'immigration à des non-élus.

L'établissement des seuils d'immigration est une responsabilité éminemment politique, qui ne concerne pas seulement l'adéquation des arrivées avec le marché du travail, à supposer que ces calculs puissent être effectués de façon parfaitement objective. Dans aucun pays au monde, on ne s'attend à ce que tous les immigrants obtiennent d'emblée un emploi correspondant idéalement à leurs qualifications. En outre, l'immigration est une question complexe, un pari sur l'avenir qui implique aussi des valeurs morales et une approche sociale. Bref, il s'agit d'un choix politique.

C'est l'une des aberrations de cette course à la direction sans éclat que de voir celui qui est le plus brillant des candidats tirer le débat vers le bas.