« Le Canada est de retour ! », tel était le slogan officieux du gouvernement Trudeau quand il a pris les rênes du pouvoir.

Si cette phrase ne doit pas rester qu'un slogan creux, ce gouvernement a plusieurs dossiers importants sur la table... auxquels, hélas, il ne semble pas pressé de s'attaquer.

Le premier est cette loi que l'avocat Jean-Claude Hébert qualifie à bon droit de « scélérate », peut-être la pire de tout l'arsenal des lois répressives héritées du gouvernement Harper au chapitre de la justice criminelle.

Depuis 2011 en effet, les juges peuvent imposer des peines cumulatives de 25 ans sans possibilité de libération conditionnelle aux détenus condamnés pour meurtres multiples. Ainsi, Justin Bourque, l'auteur de la fusillade de Moncton qui a coûté la vie à trois policiers de la GRC, a été condamné à 75 ans de prison sans possibilité de libération conditionnelle. Ce jeune homme -  manifestement un cas psychiatrique qui a été notoirement mal défendu - sera libéré, s'il vit toujours, à l'âge de... 99 ans, sans jamais avoir pu espérer bénéficier d'une libération conditionnelle. Je dis bien « espérer », car la libération conditionnelle n'est pas automatique et peut être refusée.

Il s'agit là d'une « justice » à l'américaine qui rompt brutalement avec la tradition canadienne axée sur la réhabilitation.

Il est fort probable que la Cour suprême, si elle en vient à statuer sur ce cas, jugera cette loi inconstitutionnelle car il s'agit à l'évidence même d'un châtiment « cruel et injustifié ».

En avril, la Cour a commencé à s'attaquer à l'édifice judiciaire érigé par le régime Harper (une soixantaine de lois dites « tough on crime »), mais en commençant par deux lois relativement bénignes. Compte tenu de la lenteur du processus juridique, la loi médiévale qui a jeté Justin Bourque au cachot pour la vie ne sera pas invalidée avant fort longtemps.

Il serait plus simple que le gouvernement Trudeau abroge cette loi qui va contre toutes les valeurs dont son parti se réclame, au lieu d'attendre passivement un lointain verdict de la cour. La ministre de la Justice a reçu de son patron le mandat de réviser toutes les lois sur les peines... mais ce processus risque de s'engluer dans la bureaucratie.

Question : ce gouvernement qui veut tellement être aimé aurait-il peur de s'attaquer à une loi qui est, admettons-le, fort populaire dans le grand public ?

L'autre dossier sur lequel le gouvernement semble hésiter est celui de la loi 51 contre le terrorisme - un autre legs du gouvernement Harper que le PLC se promettait pourtant de modifier lorsqu'il était dans l'opposition. Sa plateforme électorale le mentionnait d'ailleurs clairement.

Cette loi a fait l'objet de nombreuses critiques - notamment de la part du Barreau canadien - parce qu'elle élargit indûment les pouvoirs du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et qu'elle ouvre la porte à des atteintes aux libertés civiles.

Ainsi, sa définition très floue de la « promotion du terrorisme ». À la limite, on pourrait en venir à voir comme de la propagande terroriste des propos ou des écrits qui en appellent à la violence révolutionnaire. Des textes classiques comme ceux de Frantz Fanon, le théoricien de la décolonisation, pourraient être jugés suspects, de même que les analyses qui justifient le djihad par le traitement réservé aux musulmans. De tels propos, aussi contestables soient-ils, doivent être permis dans une démocratie.

Le gouvernement s'est contenté jusqu'ici de proposer la création d'un comité parlementaire pour superviser les opérations des agences de sécurité, et compte organiser une vaste « consultation publique » sur la sécurité nationale...

Est-ce une façon de noyer le poisson ? Nul n'ignore, en effet, qu'un projet de loi qui soumettrait la chasse aux terroristes aux limites de la charte des droits ne serait guère populaire...

Par contre, le même gouvernement semble pressé d'imposer aux Canadiens une réforme du mode de scrutin que personne n'a jamais demandée (à part quelques politologues et les petits partis amateurs de représentation proportionnelle), au mépris du fait que le système actuel sert très bien le pays depuis un siècle et demi.

Le gouvernement se tromperait-il de priorité ?