Ma découverte de l'été : le musée Soulages à Rodez. Soulages comme dans Pierre Soulages, surtout connu pour ses toiles entièrement noires, baptisées « outrenoir ».

Ce peintre encore actif à 96 ans est le plus connu des peintres français vivants, quoiqu'il n'ait guère pénétré le marché international (le MOMA, à New York, n'a qu'une toile de lui). Aucune photo ne rend justice à ses « outrenoirs » dont la beauté tient à l'effet de la lumière sur la pâte acrylique puissamment travaillée à la brosse ou au couteau.

Plus encore que pour d'autres peintres, il faut, pour les apprécier pleinement, voir ses oeuvres en personne : soit dans la collection permanente du musée Fabre de Montpellier, soit - encore mieux - au musée qui porte son nom et qui est en lui-même un chef d'oeuvre.

Rodez. Une petite ville de 52 000 âmes au fond de l'Aveyron, perchée sur une colline dominée par sa cathédrale-forteresse de grès rose, à laquelle ne mènent ni autoroute ni TGV.

Le musée Soulages est l'écrin parfait pour les quelque 500 oeuvres que le peintre a offertes à sa ville natale.

Ses architectes catalans ont accroché à la colline des blocs géométriques bardés d'acier corten - un acier qui, une fois rouillé, acquiert une patine incomparable et se pare de teintes variant avec la lumière. Ce fini ocre rappelle à la fois le grès de la cathédrale et les travaux de Soulages.

C'est sans surprise qu'on apprend que Soulages a d'abord pratiqué le fusain, cet outil charbonneux d'une infinie subtilité, qui peut produire toutes les teintes du noir selon le fini qu'on lui donne. Plus tard, sur les toiles outrenoires de Soulages, la lumière s'infiltrera à travers les reliefs, les sillons et les entailles par lesquels le peintre a en quelque sorte sculpté sa matière, et les tableaux changeront d'aspect selon l'intensité de la lumière ou selon l'angle de vue du spectateur.

Soulages n'utilisait pas de pinceaux classiques. Il achetait le plus souvent des pinceaux de peintres en bâtiment. Parmi ses plus belles lithographies et eaux-fortes se trouvent celles peintes sur papier au brou de noix - une substance que les ébénistes utilisent pour teinter le bois.

Sous la main vigoureuse de Soulages naissent des formes massives aux contours géométriques, parées de noir, d'ocre et de marron. Ceux pour qui l'art moderne finit avec les impressionnistes n'aimeront pas ces tableaux abstraits qui -Soulages le précise dans ses notes - n'expriment rien, ne représentent rien, ne renvoient à aucune réalité.

Ses tableaux sont titrés par numéros et selon la technique utilisée, comme dans eau-forte XIII. Si certains, comme sa célèbre affiche pour les Jeux de Munich de 1972, évoquent la calligraphie japonaise, le parallèle est trompeur, car la calligraphie exprime des concepts, alors que pour Soulages, seule compte la forme brute.

« Si l'on est sensible à la forme d'un arbre sans feuille, dit-il, on est sensible à l'art abstrait. »

Cette approche rigoureuse a le mérite de nous épargner le art speak - le baratin pseudo-littéraire des « interprètes » de l'art abstrait qui utilisent un vocabulaire prétentieux pour dire n'importe quoi.

Malheureusement, si l'effet de mode et le battage médiatique ont procuré au musée Soulages un succès record dès son ouverture, en 2014, il s'étiole dangereusement depuis.

Le jour où nous y sommes allés, le temps d'attente n'était que d'une dizaine de minutes. On était pourtant à la mi-août, en pleine saison touristique, et le musée affichait aussi une exposition de toiles de Picasso, la plupart empruntées au Musée Picasso de Paris.

La plupart des touristes étaient venus pour Picasso, et les salles réservées à Soulages étaient fort peu fréquentées. Un calme qui a décuplé notre plaisir, mais qui augure mal pour l'avenir du musée.

Pas plus que Picasso, pourtant le peintre le plus connu au monde, le restaurant du musée, tenu par la célèbre famille Bras qui a fait la réputation gastronomique de la région, ne peut compenser pour le fait que Rodez est très éloignée des grands axes, et Soulages, pas assez populaire pour attirer les foules.

Dommage, car ce beau musée vaut le détour - d'autant plus qu'il y a mille choses à voir tout près. Il y a la magnifique église abbatiale de Conques, classée au patrimoine mondial de l'humanité, aujourd'hui garnie des vitraux abstraits conçus par Soulages. Il y a le prodigieux viaduc de Millau. Il y a les pâturages de l'Aubrac, les austères plateaux calcaires des Causses, Roquefort-sur-Soulzon, unique patrie du roquefort, et plus au sud, la délicieuse vallée du Tarn qui mène à Albi la Rouge.

On le sait, la France est belle partout. Pourquoi se contenter d'aller à Paris ?