La loi fédérale sur l'aide médicale à mourir (ou, pour appeler les choses par leur nom, sur l'euthanasie active) ne sera qu'un début. On est déjà engagé sur la «pente glissante» que l'on entrevoyait à partir du moment où l'on a présenté l'aide au suicide non plus comme un crime, mais comme un service public, comme un acte normal et, qui plus est, comme la solution la plus «digne» à la souffrance.

Jusqu'ici, on s'entendait pour limiter le «droit» à la mort aux adultes conscients, capables de consentement lucide. Mais ce qui paraissait invraisemblable il y a peu -  soit l'euthanasie des mineurs et des personnes souffrant de troubles mentaux ou de démence sénile - pourrait d'ici trois ans devenir réalité.

À l'instar d'un comité interprovincial qui a étudié la question l'an dernier, la majorité des membres du comité parlementaire qui a précédé le dépôt du projet de loi C-14 recommande l'extension du droit à l'euthanasie aux mineurs «matures». Ils n'auraient pas le droit de s'acheter une bière, mais ils auraient celui de requérir qu'un médecin mette fin à leurs jours !

De son propre aveu, c'est faute de temps (pour répondre à l'échéance serrée de la Cour suprême) et non pour des raisons de principe que la ministre de la Justice n'a pas abordé ces questions dans son projet de loi. Elle les étudiera d'ici trois ans.

Incroyable mais vrai, plusieurs considèrent comme «trop conservateur» ce projet de loi qui va pourtant bien au-delà de ce que permet l'immense majorité des pays développés.

La critique la plus courante et la plus raisonnable est que des gens souffrant de graves maladies dégénératives, mais non mortelles ne pourraient être candidats à l'euthanasie, comme le voulait tacitement la Cour suprême. Le projet de loi est ambigu (la mort doit être «raisonnablement prévisible»), mais il est probable que le gouvernement clarifiera le libellé du projet à ce chapitre.

Plus tard, on passera aux mineurs. Pourquoi un gamin de 16 ans en proie à des souffrances devrait-il attendre ses 18 ans pour se faire euthanasier ? Dans l'optique voulant que le suicide soit un droit bénéfique, la question se pose. Mais alors, pourquoi pas les enfants de 10 ans ? N'a-t-on pas souvent noté que les petits cancéreux ont une maturité supérieure à leur âge ? Dans un contexte où l'euthanasie est présentée comme une délivrance salutaire, pourquoi les parents refuseraient-ils à leurs enfants malades la possibilité d'en finir à un âge précoce ? Et tant qu'à y être, pourquoi imposer une vie de souffrances aux bébés affligés d'horribles handicaps ?

Le projet de loi stipule que «les souffrances psychologiques» suffiraient à permettre l'euthanasie. Mais ce n'est pas assez clair pour les partisans les plus radicaux du droit au suicide, qui favorisent le modèle de la Belgique, où l'on a accordé l'euthanasie à des personnes souffrant de divers troubles mentaux. Selon le New Yorker, l'injection létale a été donnée à des personnes souffrant d'autisme, d'anorexie, de dépression, de fatigue chronique, de paralysie partielle, de cécité et de surdité ou de la maladie bipolaire.

Dans la logique de cette pensée, on se demande pourquoi il faudrait empêcher les ados d'Attawapiskat, pour qui la vie est intolérable, de mettre fin à leurs jours... ou pourquoi, s'il l'avait su, Alexandre Taillefer aurait tout fait pour empêcher son fils de se suicider.

Autre question en suspens : l'euthanasie des malades d'Alzheimer qui auraient signé des directives anticipées. Les psychiatres gériatriques auront beau rappeler que la personne démente est différente, psychologiquement, de celle qui a signé la directive, nombreux seront ceux qui, confortés par le discours ambiant voulant que ces vies sont sans valeur, verront d'un bon oeil une mesure qui aurait l'avantage corollaire, comme l'euthanasie des enfants gravement handicapés, de libérer les familles d'un lourd fardeau.