On se rassure comme on peut.

J'ai commencé par me dire que les partisans de Donald Trump se livraient à un petit jeu classique : pour se défouler, pour provoquer le bourgeois, ils applaudissaient le paria des élites, sans pour autant le voir à la Maison-Blanche... et ils finiraient par se ranger, à mi-course, derrière un candidat sérieux.

Ensuite, Trump allant de victoire en triomphe, je me suis dit que si jamais, par malheur, il héritait de l'investiture, Hillary Clinton n'en ferait qu'une bouchée. Et que ce serait même une bonne chose : Trump, le plus fou de la bande des républicains, serait le plus facile à battre, non ?

Aujourd'hui, je n'en suis plus aussi sûre. Il est devenu théoriquement possible d'imaginer l'effroyable possibilité que Trump en vienne à triompher de Hillary Clinton, dont l'image s'est terriblement détériorée depuis 2008.

Elle a multiplié les erreurs de jugement au Secrétariat d'État, de l'aventure libyenne à l'utilisation de son compte personnel de courriels pour ses communications avec l'administration. Elle passe pour l'otage de Wall Street pour s'être enrichie royalement par ses conférences à huis clos devant les plus grosses institutions financières du pays.

Il faut qu'elle soit drôlement vulnérable pour que Bernie Sanders, un vieux sénateur auquel personne n'accordait l'ombre d'une chance il y a six mois, réussisse à remporter six primaires, à se classer presque ex aequo dans l'Iowa et à mener dans plusieurs sondages nationaux !

Surtout, elle ne soulève pas l'adhésion émotionnelle des électeurs. À tort ou à raison, beaucoup la jugent coincée, calculatrice, pas franche.

C'est un gros contraste avec Donald Trump, qui respire l'assurance, la confiance en soi et a l'air suprêmement bien dans sa peau. Je parle ici, évidemment, de la perception qu'on en a, les perceptions étant ce qui compte le plus en politique.

Lors de son discours du super mardi à Palm Beach, il avait l'air d'un politicien « naturel ». Il ne doute de rien, il a toutes les solutions, il a l'avantage d'être un « outsider », il paie lui-même pour sa campagne, il n'est pas inféodé à la haute finance (qui le craint au contraire comme la peste).

Il me faisait penser, ce soir-là, à Marine Le Pen, dont le succès phénoménal repose sur ses dons de communicatrice populiste. Les Français qui en arrachent et en veulent à la classe politique qui les a déçus (« trahis », dira-t-elle) la suivent malgré son programme insensé parce qu'elle parle comme eux et réagit comme eux.

Oubliez les comparaisons stupides avec Hitler. Mutatis mutandis, ce serait plutôt à Mussolini que Trump ressemblerait.

Il emprunte à la gauche autant qu'à la droite xénophobe (appui mitigé à l'obamacare, rejet du libre-échange, protectionnisme féroce...).

Comme Il Duce, il projette l'image d'un chef autoritaire qui ramènera la prospérité et rendra au pays sa grandeur passée - exactement ce que veulent ses partisans lassés des « mous » comme Obama.

Trump est un populiste démagogue comme il y en a actuellement en France, en Hongrie, en Croatie, en Grande-Bretagne et même en Scandinavie, la différence étant que cet homme, à l'image d'un continent jeune et mal policé, est plus ignare, plus vulgaire, plus simpliste que ses homologues européens. Marine Le Pen, qui vient d'ailleurs de lui donner son appui, a l'air d'une grande dame en comparaison !

Les États-Unis ne sont pas n'importe quel pays. Son effarant programme se répercuterait sur le monde entier, le pire étant que cet homme fantasque et lunatique aurait le doigt sur le bouton rouge de l'arme nucléaire.

Il serait surprenant que l'offensive des dirigeants républicains contre l'électron libre qui va détruire leur parti ait raison de la ferveur de ses disciples. Quelle crédibilité aura une offensive menée par deux perdants (John McCain et Mitt Romney) ?

Mais attendons quand même les résultats déterminants des primaires en Ohio et en Floride avant de nous affoler. Le pire n'est pas toujours sûr, non ?