Un vétéran du monde artistique, ami de longue date de la famille Péladeau, avait fortement déconseillé à Pierre Karl Péladeau de se lancer en politique : « N'y va pas », lui disait-il avec une affection tout avunculaire, « tu vas détruire ton parti et tu vas détruire ton entreprise ».

Cet homme avait vu passer bien de l'eau sous les ponts. Il connaissait aussi le caractère impétueux et irritable de l'aîné des enfants Péladeau. Il avait raison.

La seule chose qu'il n'avait pas prédite, c'est que cette aventure allait aussi détruire son mariage.

Détruire est un bien gros mot. Le PQ n'est pas détruit. Mais il est très affaibli.

Québecor n'est pas détruit. Mais il n'a certainement rien gagné à l'entrée de son patron en politique. Constamment sur la sellette depuis ce jour, Québecor est aujourd'hui mis à mal par les journalistes d'enquête qui l'accusent d'avoir échappé à l'impôt en installant des officines dans des paradis fiscaux.

(Cela, notons-le, n'a rien d'illégal. Nombre de grosses entreprises canadiennes ont fait et font la même chose. Nombre de personnalités pourraient être traduites, comme M. Péladeau ces jours-ci, devant le tribunal de l'opinion. Cette pratique, en tout cas, n'a pas empêché Philippe Couillard, qui a déposé ses honoraires d'Arabie saoudite dans un compte offshore, de devenir premier ministre.)

Ce qui, toutefois, est irrémédiablement détruit, c'est le mariage des Péladeau-Snyder, ce foyer où vivaient deux petits enfants qui seront désormais écartelés entre le père et la mère.

Nul ne sait si la politique, un engagement toujours très dur pour les familles, est la cause principale de cette rupture, mais l'on peut supposer que la pression constante exercée sur un PKP peu habitué à la critique et au travail d'équipe a pu jouer un rôle, et exacerber les tensions internes au sein d'un couple qui était déjà passé, en 2014, par une rupture orageuse.

On sait, car il l'a dit lui-même, que Julie Snyder avait été pour beaucoup dans la décision de M. Péladeau de se lancer à la conquête du « pays ». Le couple aurait-il vu dans cette mission vers le sommet - la présidence de la République du Québec ! - un projet commun suffisamment exaltant pour cimenter une union fragile ? Pour souder ensemble deux puissants ego susceptibles de s'affronter constamment ?

Si tel est le cas, un projet en politique active était bien le pire des choix. Mais j'ai souvent remarqué que les entrepreneurs les plus terre-à-terre peuvent devenir étrangement naïfs et romantiques au sujet de la politique.

PKP avait des réflexes d'indépendantiste des années 60, avec tout ce que cela comporte de théâtre et d'idéalisme déconnecté de la politique réelle. Julie Snyder, artiste et femme d'affaires avisée, ne connaissait que le côté brillant et romanesque de la politique.

Sa seule incursion dans cet univers avait été couronnée de succès, quand Jean Charest avait cédé en mettant sur pied les services de fertilité les plus coûteux au monde.

La réalité allait les faire tomber de haut, dans ce PQ prompt à maudire les chefs qui le déçoivent.

L'hallali est déjà commencé, avec les commentaires assassins de l'ex-député Yves-François Blanchet, qui affirmait hier à notre collègue Denis Lessard que M. Péladeau « ne sera pas là aux prochaines élections » et que « les couteaux vont commencer à s'aiguiser », - remarque pour le moins pittoresque venant de quelqu'un qui vient de brandir ouvertement le couteau qui ouvrira la première plaie.

Ce qui se déroule devant nos yeux est une authentique tragédie. Une tragédie politique, une tragédie humaine. Il y aura bien des leçons à en tirer, et elles ne seront pas toutes à l'avantage de la meute que forment, autour de l'animal blessé, des journalistes pressés d'en finir avec cet acteur qui a raté son entrée, et des députés et militants qui grommellent, à l'abri de l'anonymat, contre le chef qu'ils acclamaient il y a un an.