La preuve, s'il en fallait une, que les premières victimes du groupe armé État islamique (EI) sont les musulmans eux-mêmes : après l'attentat suicide d'Istanbul, tous les pays de tourisme musulmans seront virtuellement rayés de la carte, et les merveilles qu'ils contiennent, inaccessibles aux voyageurs étrangers.

Alors que la Tunisie se relevait à grand-peine de ses crises internes, les attentats retentissants qui ont explicitement visé l'an dernier des sites touristiques (le prestigieux musée du Bardo et un hôtel cinq étoiles) la privent de nouveau d'une source de revenus essentielle.

En Égypte, même si nombre de militants islamistes croupissent en prison sans procès, le tourisme est au point mort depuis la faillite du Printemps arabe.

En Algérie, le gouvernement canadien recommande d'éviter tout voyage à l'extérieur des grands centres. Au Maroc, de même qu'au Kosovo, l'enclave musulmane des Balkans, on recommande une « grande prudence ».

En Irak, la mégalomanie architecturale de Saddam et l'invasion américano-britannique ont précédé les exactions de l'EI. La Mésopotamie - berceau de l'écriture - est une zone pratiquement interdite.

Des amis ont fait le voyage il y a deux ans. Ils ont passé une grande partie du temps entassés avec d'autres touristes dans des jeeps ultra-sécurisés et encerclés par des convois de soldats armés... pour finalement découvrir que les lieux mythiques avaient disparu sous les mausolées que Saddam avait édifiés à sa gloire.

Avant-hier, ce fut au tour de la Turquie. Et pas n'importe où : dans le sublime quartier historique qui contient la Mosquée bleue, la basilique Sainte-Sophie et le palais de Topkapi. L'intention était claire, il s'agissait de tuer le tourisme.

L'Iran, revenu dans la communauté internationale après les accords sur le nucléaire, aurait une chance de s'ouvrir au tourisme. Il risque hélas de subir le même sort. On peut craindre que l'EI frappe ses sites touristiques avec une haine accrue du fait que l'Iran est perse (non arabe) et chiite, religion honnie des sunnites de l'EI.

Ne parlons pas de la Syrie, qui elle aussi portait les vestiges des plus anciennes civilisations. La cité antique de Palmyre a été massacrée par les fous de l'islam, au même titre que les grands bouddhas d'Afghanistan et les manuscrits de Tombouctou, et pour la même raison : parce que ces oeuvres datent d'avant l'islam.

Les trésors de l'Égypte ancienne ont échappé de justesse à la folie destructrice : lorsqu'ils étaient au pouvoir, des dirigeants des Frères musulmans voulaient les recouvrir de cire à défaut de les éliminer complètement. Mais presque plus personne ne va les voir...

La destruction de monuments de pierres paraît bien peu en comparaison du martyre des populations, mais l'on doit aussi pleurer l'irréparable disparition d'une partie fondamentale du patrimoine culturel de l'humanité.

Il reste la Jordanie, la vallée de Pétra... « Grande prudence » là aussi, conseillent les Affaires étrangères. Le même avertissement est donné pour la France post-attentats, mais c'est plus facile de se débrouiller dans un pays dont on connaît la langue et la culture.

J'ai visité l'Égypte du nord au sud, d'Alexandrie à Assouan, en 1997, peu après les attentats terroristes qui ont ciblé les sites des pyramides et le temple d'Hatchepsout, dans la Vallée des rois.

Au départ j'étais un peu anxieuse, mais je prenais la chose philosophiquement, en me disant que les terroristes ne frappent jamais deux fois sur une courte période. Une fois sur place, j'ai tout oublié du terrorisme, malgré les soldats armés qu'on voyait partout. Je me suis laissé emporter par l'éblouissement.

Cette année, je serais davantage sur mes gardes.

Depuis 1997, les violences commises au nom de l'islam ont été trop nombreuses, trop meurtrières.

Ces répétitions dévastatrices sont en train d'atteindre leur but : dresser un mur de peur autour des pays musulmans, pour le plus grand malheur de leurs habitants.