La commission Charbonneau a broyé bien des réputations, et l'exercice se poursuivait au lendemain de la publication de son rapport. Dans une interview à Radio-Canada, Lino Zambito, l'ex-entrepreneur repenti qui a été le témoin chouchou de la commission, s'est lancé dans un procès d'intention pour le moins singulier à l'encontre du commissaire dissident Renaud Lachance.

M. Zambito, fâché de voir les politiciens provinciaux s'en tirer aussi bien, d'affirmer : « La juge Charbonneau, elle, est indépendante, elle a sa job [de juge] pour la vie, tandis que M. Lachance pourrait recevoir des contrats du gouvernement. »

Ces propos illustrent bien le climat qui se dégage de ces commissions d'enquête où règnent la délation et la suspicion. En laissant planer des accusations de conflit d'intérêts envers un homme aussi rigoureux que M. Lachance - un ancien vérificateur général qui n'a jamais hésité à blâmer le gouvernement -, M. Zambito était bien dans l'esprit qui a présidé aux travaux de la commission Charbonneau.

Je n'ai pas été convaincue par l'argumentation exposée par M. Lachance dans sa dissidence, alors qu'il nie l'existence des retours d'ascenseur sous prétexte qu'on n'a pas prouvé l'existence d'un cas en particulier. Mais c'est probablement parce que je ne suis pas une comptable. Le contexte général de même que nombre de témoignages laissent croire, au contraire, qu'il y a eu, à tout le moins, un lien « indirect » entre le financement des partis et l'octroi des contrats publics.

Il y a eu entre les deux commissaires un « choc des cultures » - la culture comptable, fondée sur une lecture littérale des faits, et la culture juridique, où l'on admet les preuves circonstancielles. Cette dissidence n'aurait pas eu le même impact dévastateur si le troisième commissaire, gravement malade, avait été remplacé.

La crédibilité de la commission reste entachée par d'autres facteurs. Ainsi, pourquoi avoir rédigé des « avis de blâme » aussi sévères, pour ensuite les laisser tomber tous, sans exception, à la première explication des gens ciblés ?

Quand on connaît le tempérament volontariste de la juge Charbonneau, on peut exclure l'hypothèse que la commission aurait été intimidée. Faut-il croire que les individus ciblés par des avis de blâme auraient avancé des arguments que la commission n'avait pas prévus malgré les heures passées à scruter les témoignages ?

Il y a bien d'autres incongruités.

Pourquoi Marc Bibeau, le grand argentier du Parti libéral, n'a-t-il pas été interrogé dans une audience publique ? Pourquoi s'être acharné sur les ministres Boulet et Normandeau sans faire témoigner l'ex-premier ministre Charest, qui avait défini à ses ministres l'objectif de récolter 100 000 $ par année ?

Pourquoi avoir consacré autant de temps à Mascouche sans toucher à Québec ou à Sherbrooke ? Pourquoi avoir écarté de l'enquête Hydro-Québec, l'un des plus importants donneurs de contrats de la province ?

Pourquoi a-t-on laissé tomber le volet crucial du rôle de la pègre après avoir inauguré les travaux en s'attardant en grande pompe sur le phénomène de la mafia ?

Fin 2012, la Commission avait publié une liste de personnalités qui avaient été « vues » au Club 357c, que fréquentaient à l'occasion une poignée d'entrepreneurs suspects. Dans son rapport, la commission ne mentionne que trois rencontres de l'entrepreneur Catania, sans s'excuser auprès des autres personnalités et du Club pour les torts que cette opération de « culpabilité par association » leur a causés.

La commission avait, certes, un mandat beaucoup trop vaste. A cause de cela justement, elle aurait dû établir des priorités en fonction de l'importance des sujets. Au lieu de cela, ce qu'on a vu à l'oeuvre, c'est une commission déboussolée qui s'en allait dans tous les sens. C'est pourquoi son rapport est une fastidieuse accumulation de témoignages dont l'esprit de synthèse est complètement absent.