La poudre aux yeux est une substance destinée à vous aveugler temporairement. C'est ainsi que, dans l'atmosphère de fraîcheur et de renouveau qui a marqué la présentation du nouveau Conseil des ministres, on n'a pas vu que cette fameuse parité hommes-femmes est en partie un leurre.

En fait, le premier ministre a accru la taille de son cabinet pour faire plus de place aux femmes, en morcelant des responsabilités qui auraient dû être amalgamées. Le tiers des heureuses élues ont hérité de ministères d'État secondaires, alors que les ministres masculins dirigeront de « vrais » ministères.

En outre, la belle photo paritaire a été construite sur une inégalité fondamentale. La députation libérale comptant 50 femmes et 134 hommes, chaque députée avait près de trois fois plus de chances qu'un collègue masculin d'accéder au Conseil des ministres. Or, si l'on croit à l'équité pour les femmes, ne faut-il pas aussi souscrire au même principe pour les hommes ?

C'est en amont qu'il faut travailler si l'on veut promouvoir l'accession des femmes aux postes ministériels : dans un monde idéal, un parti devrait présenter autant de femmes que d'hommes dans des circonscriptions « gagnantes ».

Mais pourquoi privilégier à n'importe quel prix une caractéristique secondaire (le sexe) qui n'a rien à voir avec la compétence ?

Admettons que la plupart des nouvelles ministres soient compétentes. Il reste qu'on a écarté, au nom de la diversité et de la parité, plusieurs hommes extrêmement qualifiés. Il n'est pas sûr que cela serve l'intérêt public.

Plusieurs femmes auront d'importantes responsabilités dans le cabinet Trudeau, notamment Carolyn Bennett (Autochtones), la seule qui ait une expérience parlementaire ; Jody Wilson-Raybould (Justice), Chrystia Freeland (Commerce international), Jane Philpott (Santé), Mélanie Joly (Patrimoine) et Catherine McKenna (Environnement et changement climatique).

Toutefois, pour faire accéder un nombre maximal de femmes au cabinet, on a multiplié les responsabilités qui auraient dû être amalgamées à d'autres ministères. Pourquoi un ministère de la Condition féminine ? De la Petite Entreprise et du Tourisme ? Pourquoi un ministère seulement pour le Revenu, alors que l'Agence canadienne du revenu fait le gros du travail ? Pourquoi un ministère des Sciences, alors qu'il existe un ministère de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique ?

C'est le stratagème qu'avait utilisé Jean Charest en 2007. A partir d'une députation qui comprenait 44 hommes et 22 femmes, il avait réalisé la parité en créant des mini-ministères (aînés, tourisme, famille...). La même chose s'est produite en France sous la présidence de François Hollande, avec une succession de conseils des ministres « paritaires » dont la majorité des femmes héritaient de responsabilités déléguées.

Le gouvernement Trudeau s'est trouvé bien embarrassé quand on a découvert, au lendemain de l'assermentation, que cinq nouvelles ministres étaient en fait des ministres d'État, moins bien rémunérées et relevant de ministres en titre. D'un coup de baguette magique, il leur a accordé une promotion instantanée : non seulement elles auront le même salaire que les ministres en titre même si leurs responsabilités seront moindres, mais encore - bonjour l'ambigüité - elles bénéficieront des mêmes privilèges, incluant les pleins pouvoirs de signature... quoique leur « ministère » sera tributaire des services d'un autre ministère !

À l'heure où les femmes forment la majorité des diplômés universitaires dans les carrières les plus lucratives, ont-elles besoin de ces mesures de discrimination positive dangereusement analogues au paternalisme d'antan ?

Croit-on vraiment que la parité du Conseil des ministres, à plus forte raison quand la réforme est partiellement cosmétique et ne repose pas sur une réelle égalité des responsabilités, attirera davantage de femmes en politique ?

S'il était vrai que les symboles peuvent transformer la réalité, l'élection de Barack Obama - un Noir au pouvoir ! - aurait réglé le problème du racisme aux États-Unis. On sait, hélas, que ce n'est pas le cas.