Le plus gros affrontement de Justin Trudeau avec le Québec ne portera pas sur le partage des pouvoirs ni sur la souveraineté (du moins tant qu'il n'y aura pas un autre référendum à l'horizon). Il portera sur les valeurs, plus précisément sur le multiculturalisme extrême professé par le nouveau premier ministre... un multiculturalisme qui, notons-le, n'a rien à voir avec le recours de Pierre Elliott Trudeau à un multiculturalisme de pure façade.

Durant son discours de victoire, Justin Trudeau a raconté avec émotion qu'une femme en hijab l'a remercié de permettre à sa fille de « faire ses propres choix dans la vie », ce qui incluait implicitement la possibilité que cette enfant décide un jour de porter le niqab.

Il y avait de quoi sursauter. On peut à la rigueur accepter le niqab, même dans les cérémonies de citoyenneté (c'est mon cas), mais entre la simple tolérance et la volonté d'encourager les femmes à se cacher le visage, il y a toute une différence !

Le niqab comme symbole national d'autonomie des femmes ? On rêve ou quoi ?

Dans le même discours, M. Trudeau a insisté sur le fait que « le Canada a été bâti par toutes sortes de gens de partout, [qui avaient] toutes sortes de cultures et toutes sortes de langues ». C'est vrai : le Canada s'est développé sur des vagues successives d'immigration. Mais en ne disant que cela, on occulte une autre partie de la réalité historique, soit l'existence préalable des deux « peuples fondateurs » (les descendants des colons de la Nouvelle-France et les Britanniques venus après la Conquête). C'est le pacte entre ces deux groupes qui est à l'origine du Canada tel qu'on le connaît aujourd'hui. Il n'y avait pas beaucoup d'immigrés vietnamiens ou bulgares parmi les pères de la Confédération !

Le grand objectif de Pierre Elliott Trudeau était d'instituer l'égalité institutionnelle entre le français et l'anglais, ce qu'il fit en 1969 par la Loi sur les langues officielles. Cette initiative provoqua une énorme levée de boucliers dans les communautés culturelles, qui considéraient que les Canadiens français n'étaient qu'un « groupe ethnique » comme un autre. Les Ukrainiens, les premiers aux barricades, réclamaient le même privilège pour leur langue d'origine ! C'est dans ce contexte, pour apaiser la grogne qui montait dans l'ouest du pays, que Trudeau Père a présenté en 1971 la Loi sur le multiculturalisme.

Ses objectifs étaient fort modestes. Il s'agissait d'aider les communautés à se développer, à surmonter les obstacles à leur pleine intégration à la société, et à apprendre le français et l'anglais. Il n'était pas du tout question de transformer la société pour accommoder ces cultures minoritaires. Dans la pratique, les retombées de cette loi ont surtout pris la forme de subventions à diverses activités folkloriques. (En 1988, le gouvernement Mulroney a élargi la portée de la loi.)

Personnellement, Trudeau père était à mille lieues du communautarisme et bien plus proche de la conception républicaine (l'égalité des citoyens devant la loi). C'est du bout des lèvres, et pour des motifs purement stratégiques, qu'il a adhéré à une conception du multiculturalisme qui était, on le voit, fort limitative.

Pour son fils, au contraire, le multiculturalisme est un article de foi qu'il pratique sans mesure ni modération, et qui l'entraînera dans une collision frontale avec le Québec.

Sur le même sujet, un texte intéressant d'Yves Gingras, professeur d'histoire à l'UQAM, dans Le Devoir du 25 octobre. Sous le titre « Les soumissions tranquilles ou Houellebecq en Ontario », Gingras décrypte le sens réel de Soumission : loin d'être un roman islamophobe, il s'agit d'une attaque contre « l'opportunisme » et la lâcheté des universitaires. Et Gingras de rappeler les dérives multiculturalistes qui se sont produites en Ontario.