Ceux qui se penchent sur le sort du NPD sont nombreux à croire que le recentrage du parti a nui à ses chances en le faisant apparaître comme moins « progressiste » que le PLC. Je pense au contraire que si le parti était resté cantonné dans sa zone de gauche, le résultat aurait été encore pire.

Thomas Mulcair était dans ce qu'on appelle en anglais une « no-win situation » : quoi qu'il fasse, il ne pouvait pas gagner...

On connaît peu, au Québec, le vrai visage de ce parti qui, jusqu'à l'arrivée de M. Mulcair, n'avait jamais réussi à prendre le virage de la modernité. Un parti à la traîne des syndicats dont il dépendait pour son financement (jusqu'à ce que la loi interdise les contributions des personnes morales). Un parti où grouillaient trop de radicaux et qui, précisément pour cette raison, n'avait jamais pu se rapprocher du pouvoir. (Au Québec, le NPD avait un visage plus flou, car il était formé des « poteaux » de 2011 et n'avait aucune racine dans la province.)

Le NPD a certainement démobilisé une partie de sa base traditionnelle en évitant de parler des inégalités sociales, en s'abstenant de se faire le champion de la classe ouvrière et en se donnant un programme modéré (même son projet le plus audacieux - le réseau de garderies publiques - était prudent, car il s'étalait sur plusieurs années). Mais c'était le prix à payer pour apparaître comme un parti de gouvernement.

Notons toutefois que son choix d'éviter les déficits était parfaitement conforme à la plus ancienne tradition néo-démocrate, qui remonte aux coopératives agricoles des Prairies : les agriculteurs n'aiment pas les dettes, et les gouvernements néo-démocrates de l'Ouest ont généralement évité d'endetter trop lourdement leurs provinces. Le NPD fédéral, qui s'était acquis la réputation d'un parti dépensier et irresponsable à cause des projets coûteux et irréalistes qu'il faisait miroiter, devait cette fois-ci apparaître comme fiscalement responsable.

S'il n'avait eu à faire face qu'au gouvernement conservateur, le NPD de Thomas Mulcair aurait eu de fortes chances de gagner ces élections.

L'irruption dans le tableau d'un parti libéral revigoré, sous la direction d'un jeune chef charismatique, a brouillé le tableau.

Le PLC, malgré ses déboires des dix dernières années, restait une solution crédible, connue, éprouvée, une « valeur sûre ». Son image de marque était si forte qu'il pouvait se permettre beaucoup plus d'audace que le NPD. Si ce dernier avait flirté, comme le PLC, avec l'idée de faire des déficits pour favoriser la croissance, il se serait suicidé.

Cela dit, la campagne du NPD manquait d'imagination et de dynamisme, et la personnalité de son leader n'aidait pas. Avocat astucieux et plaideur féroce, M. Mulcair, qui a excellé dans son rôle d'opposition aux Communes, a été moins efficace comme chef de campagne. Il oscillait constamment entre deux attitudes - l'agressivité qui lui était naturelle, et la façade bienveillante que ses conseillers lui imposaient.

Il n'avait pas non plus la finesse politique d'un Justin Trudeau. Ce dernier s'est bien tiré de la controverse du niqab parce qu'il n'a pas forcé la note, tandis que M. Mulcair, tout à ses principes, s'y enfonçait à coup d'explications laborieuses. Même différence à propos du Partenariat transpacifique, auquel M. Mulcair, dans une tentative désespérée pour regagner sa base, a réagi avec une fureur irrationnelle, tandis que M. Trudeau disait calmement qu'il en jugerait... quand il l'aurait lu !

Toute la force du NPD, à la veille de ces élections, reposait sur sa base québécoise qui l'avait miraculeusement fait accéder au statut d'opposition officielle. Mais ce château fort sans racines ni personnalité collective était un château de cartes, et la vague rouge l'a emporté.