Une élection historique ? Et comment !

Pour la première fois depuis l'ère Mulroney, le Canada se donne un gouvernement vraiment national, avec de solides assises dans toutes les régions.

Pour la première fois depuis 25 ans, le Québec prend pleinement sa place au sein du gouvernement fédéral, avec en plus un formidable atout : si Jean Chrétien venait de Shawinigan et d'Ottawa, Justin Trudeau, lui, est un Montréalais de la dixième génération.

Les deux gouvernements de Brian Mulroney étaient solidement implantés partout au Canada, particulièrement au Québec et en Alberta. Les deux gouvernements de Jean Chrétien, surtout forts en Ontario, se heurtaient, dans l'Ouest, au Parti réformiste (puis à son rejeton, l'Alliance canadienne), et, au Québec, au Bloc québécois. Le parti de Justin Trudeau, au contraire, a des appuis solides partout au pays.

Les Québécois auraient-ils rompu avec l'isolationnisme politique ? Longtemps, les francophones se sont enfermés dans le vase clos du Bloc... pour ne le quitter, en 2011, que pour un autre tiers parti. Ne l'oublions pas, le NPD, même sous l'aimable Jack Layton, était alors une formation parfaitement marginale, qui ne possédait que 37 sièges sur 308, et dont nul ne pouvait imaginer qu'il aurait un jour des prétentions au pouvoir.

Le parti pour lequel les Québécois ont voté en masse en 2011, histoire de changer le mal de place et parce qu'ils en avaient assez de Gilles Duceppe et du Bloc, était donc un autre vase clos sans avenir réel. Ce n'est que grâce à l'appui inattendu du Québec que le NPD s'est retrouvé, à sa propre surprise, investi du rôle de l'Opposition officielle.

Cette fois, revirement radical. Les Québécois ont opté pour le parti qu'on savait promis au pouvoir, celui qui menait largement dans les sondages.

C'est un changement de mentalité considérable.

Bien sûr, on dira - c'est ce que proclament les souverainistes - que cet appui massif au Parti libéral n'est dû qu'au désir de se débarrasser du gouvernement Harper.

Il n'y a pas de doute que ce facteur a puissamment joué dans la victoire libérale, mais soyons sérieux. Si les Québécois avaient éprouvé de l'aversion envers Justin Trudeau, ils n'auraient pas été aussi nombreux à voter pour ses candidats. Si les Québécois avaient été aussi hostiles au Parti libéral qu'à l'époque du scandale des commandites, ils n'auraient pas voté libéral. Ils auraient une fois de plus effectué un vote de protestation et seraient retournés dans les girons familiers du Bloc ou du NPD, ou ils auraient annulé leur vote. Mais rien n'indique que les Québécois ont voté en se pinçant le nez.

En fait, 80 % d'entre eux ont opté pour des partis fédéralistes. Même les conservateurs, constamment vilipendés par les artistes, les humoristes et autres faiseurs d'opinion comme si leur chef était le diable en personne, ont réussi à plus que doubler leur récolte de 2011, passant de 5 à 12 députés (deux de plus que le Bloc), et s'attirant trois fois plus d'appuis qu'il y a quatre ans !

Ces résultats n'augurent rien de bon pour le Parti québécois, qui a lié son nom à l'aventure ratée de Gilles Duceppe.

Après avoir eu l'intuition (fort juste) que le Bloc n'avait plus de raison d'être, Pierre Karl Péladeau a cédé à la tradition péquiste et changé son fusil d'épaule. Il a chaudement appuyé M. Duceppe à diverses étapes de la campagne, pendant que le Bloc bénéficiait une fois de plus de l'aide logistique du PQ... qui se retrouve aujourd'hui dans le camp des perdants.

Le Québec reprendra bientôt sa place autour de la table du conseil des ministres. Aux incontournables Stéphane Dion et Marc Garneau s'ajoutent de nouvelles recrues comme Marc Miller, Diane Lebouthillier ou Mélanie Joly, sans compter le premier ministre lui-même. La donne politique vient de changer du tout au tout.